Comment réagissent les insectes lors d’une éclipse solaire totale?

Parmi les comportements inhabituels qu'une éclipse solaire totale peut provoquer chez les insectes, on a observé que les abeilles cessent de butiner et de bourdonner.

Parmi les comportements inhabituels qu'une éclipse solaire totale peut provoquer chez les insectes, on a observé que les abeilles cessent de butiner et de bourdonner.

Crédit : Getty

En 5 secondes

Certains insectes adoptent des comportements inhabituels lorsque survient une éclipse solaire, selon différentes études répertoriées par l’entomologiste Colin Favret, de l’Université de Montréal.

L’éclipse solaire totale du 8 avril coïncidera avec le début du printemps et, si la tendance au temps doux se maintient, différents insectes seront déjà sortis de leur hibernation. Aussi, tandis que vous observerez ce phénomène céleste rarissime sous nos latitudes, certains de ces insectes pourraient avoir des comportements crépusculaires en réaction à la noirceur et à la baisse de température qu’il provoquera. 

C’est ce qu’indiquent les résultats de travaux qu’a répertoriés le professeur Colin Favret, du Département de sciences biologiques de l’Université de Montréal, quand UdeMNouvelles l’a interrogé sur le sujet. 

Spécialiste de la taxinomie et de la diversité des insectes, l’entomologiste a déniché quelques études sur des observations effectuées lors de différentes éclipses totales, dont une publiée en 1935!  

Voici un tour d’horizon des conclusions de ces études.

Des abeilles silencieuses

Colin Favret

Colin Favret

Crédit : Courtoisie

Une étude publiée en 2018 portant sur l’observation d’abeilles dans leur habitat naturel a été réalisée dans 11 régions des États-Unis lors de l’éclipse solaire totale survenue le 21 août 2017. L’objectif de cette étude dite acoustique était de surveiller l’activité des apidés en enregistrant leur bourdonnement avant, pendant et après l’éclipse. 

Pour ce faire, l’équipe de recherche a notamment fait appel au public, ce qui lui a permis de mobiliser environ 400 personnes, dont des élèves d’écoles primaires et secondaires du Missouri à qui l'on avait fourni des appareils de mesure des décibels. 

Résultat: l’activité des abeilles a graduellement diminué au début de l’éclipse pour cesser totalement durant l’occultation totale du Soleil. Elles se sont remises à bourdonner au fur et à mesure que le Soleil réapparaissait derrière la Lune. 

L’équipe rapporte que son projet de recherche a surtout eu un «effet plus large», soit celui d’avoir initié des élèves du primaire à la démarche scientifique. En effet, lorsqu’ils ont reçu la visite des chercheurs et chercheuses quelques mois avant l’éclipse, les élèves ont été invités à émettre leurs hypothèses quant aux conséquences de l’éclipse sur l’activité des abeilles.  

Ils ont aussi appris comment mesurer la fréquence, l’amplitude et la durée du bourdonnement des abeilles. À la fin du projet, les jeunes ont illustré leur expérience par des bandes dessinées «qui démontrent l’amélioration de leur compréhension du comportement des abeilles», peut-on lire dans l’étude.

Des araignées qui déconstruisent leur toile

Crédit : Getty

L’éclipse solaire totale du 11 juillet 1991, observée dans quelques États américains et mexicains, a donné lieu à deux études portant sur le comportement d’insectes et d’araignées*.  

Dans la première qui traite des araignées tisseuses d’orbes (ou araignées des jardins), l’équipe de recherche américaine a analysé trois colonies dans une plantation de café de Veracruz, au Mexique.

En temps normal, le quotidien de ces arachnides se résume au tissage de leur toile tôt le matin et à la surveillance de tout mouvement de la toile pouvant annoncer la prise d’une proie. Outre la chasse, elles interagissent aussi entre elles, généralement pour se disputer ou pour se faire la cour. Au coucher du soleil, elles déconstruisent leur toile – sans doute pour éviter que des concurrentes l’utilisent!  

Or, le jour de l’éclipse solaire totale, qui a duré une dizaine de minutes dont six minutes d’obstruction complète du Soleil, jusqu’à 70 % des araignées des trois colonies «ont commencé à déconstruire leur toile comme elles le font usuellement une fois la nuit tombée», note l’équipe de recherche. 

Les araignées étudiées avaient même détruit près de la moitié de leur toile lorsque le Soleil est redevenu visible. Puis, dans la minute qui a suivi, 96 % d’entre elles se sont mises à retisser la portion de toile qu’elles avaient défaite, «un comportement jamais vu à cette heure du jour», ajoute l’équipe. 

Dans la seconde étude, des chercheurs et chercheuses de l’Illinois et de la Floride étaient à capturer des cigales dans le climat désertique de Tucson, en Arizona, le jour de l’éclipse du 11 juillet 1991.  

«Les cigales se sont mises à chanter un peu avant 8 h le matin et lorsque l’éclipse a commencé, à 10 h 15, environ 50 % d’entre elles se sont tues, rapportent-ils. Cette interruption s’est poursuivie pendant 40 minutes, soit pendant les 20 minutes du début et les 20 minutes de la fin de l’éclipse.» 

Selon eux, ce n’est pas la baisse de la température ambiante durant l’éclipse qui a fait taire les cigales, mais l’importante diminution des radiations solaires, qui sont nécessaires «afin de maintenir la température élevée que leur corps requiert pour chanter», expliquent-ils.  


* L'araignée n'est pas un insecte: elle appartient au groupe des arachnides et, au contraire des insectes, elle est dotée de huit pattes (quatre paires de chaque côté) et ne possède ni antennes ni ailes.

Un exemple de science citoyenne: l’éclipse de 1932

Crédit : Getty

La découverte la plus intéressante de Colin Favret est une initiative de science participative menée il y a 90 ans et dont les résultats ont été publiés en 1935. 

Cette étude fait état d’une quantité impressionnante de témoignages de citoyens et de naturalistes américains ayant observé, à la demande de chercheurs, les comportements de nombreux animaux et insectes lors de l’éclipse solaire totale du 31 août 1932, qui a touché la Nouvelle-Angleterre et une partie de l’Ontario.  

Ces témoignages – souvent colorés – ont été rassemblés, puis soumis à une analyse de probabilité qui permet d’avoir une meilleure idée de l’effet d’une éclipse sur la vie des bestioles.  

Ainsi, on rapporte que, dans le Maine, des grillons se sont fait entendre tout au long de la pénombre provoquée par l’éclipse. Par ailleurs, une dame du Massachusetts a témoigné qu’une fois la lumière revenue elle a découvert son comptoir «infesté de coquerelles».  

Deux personnes, l’une du New Hampshire et l’autre de l’Ontario, ont constaté que les libellules «agissaient de façon confuse» pendant l’éclipse, sans autre précision.   

D’autres témoins du Vermont et du Massachusetts ont remarqué l’apparition de «plusieurs papillons de nuit qui ont volé» pendant toute la durée de l’éclipse.  

Au cours du phénomène céleste, les moustiques s’en sont aussi donné à cœur joie: dès le début de la pénombre, «ils ont commencé à sortir des buissons et sont devenus très vicieux, ils ont fait couler le sang sans relâche», ont déploré des habitants du Connecticut. 

Pour Colin Favret, ces témoignages revêtent une grande valeur, puisqu’ils ont été recueillis à une époque où «la science expérimentait différentes avenues afin de faire évoluer les connaissances et cet article de 1935 constitue un bel exemple de participation citoyenne à la science, dont on devrait encore s’inspirer aujourd’hui», conclut l’entomologiste originaire de l’Illinois.

Peu d’effet sur les plantes

L’effet d’une éclipse solaire totale sur les plantes s’apparente à celui d’un épais passage nuageux, selon Anne-Lise Routier, du Département de sciences biologiques de l’UdeM. 

Spécialisée dans la biomécanique des plantes, la professeure souligne que «les plantes ont, comme les humains, un cycle circadien très robuste» qui leur indique que la pénombre soudaine n’est pas celle de la nuit. 

Néanmoins, parce qu’elles ont la capacité de s’adapter très rapidement, il est possible que les stomates des feuilles de certaines plantes se referment pendant un moment, sans plus.  

«Les plantes sont des êtres vivants extrêmement adaptables, dit Anne-Lise Routier. Et il leur faut un stimulus très important pour que, par exemple, certaines fleurs se referment comme c’est le cas lors d’un orage. Et une éclipse ne devrait pas les stimuler suffisamment pour qu’elles décident de dépenser l’énergie nécessaire pour ce faire.» 

Un contre-exemple toutefois: l’étude publiée en 1935 mentionne que certaines fleurs – sans préciser lesquelles – se sont effectivement fermées lors de l’éclipse de 1932. Comme quoi il peut toujours y avoir des exceptions à la règle!

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