Sébastien Jacquemont est à Montréal pour étudier les origines génétiques de l'autisme

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  • Le 1 décembre 2014

  • Dominique Nancy

Montréal jouit d'une réputation enviable dans le secteur des neurosciences, estime le généticien Sébastien Jacquemont.Le généticien Sébastien Jacquemont est le nouveau titulaire d'une Chaire de recherche du Canada en génétique des troubles neurodéveloppementaux et des maladies neuropsychiatriques à l'Université de Montréal. Il a déménagé dans la métropole en septembre pour se joindre au corps professoral de la Faculté de médecine et aux membres du Centre de recherche du CHU Sainte-Justine.

 

«J'ai fait le pari qu'ici on parviendrait à constituer des cohortes sélectionnées selon les mutations génétiques, un facteur clé pour la réalisation de nouvelles percées scientifiques dans le domaine, estime-t-il. Montréal jouit d'une réputation enviable dans le secteur des neurosciences. J'espère pouvoir enrichir et accroître mon expertise.»

Spécialiste de réputation internationale des troubles neurodéveloppementaux et neuropsychiatriques tels que l'autisme et le syndrome de l'X fragile, le Dr Jacquemont a publié plusieurs articles scientifiques dans la revue Nature sur les aberrations chromosomiques associées à ces maladies. «Tout individu reçoit normalement deux copies des chromosomes transmis par ses parents, dit le généticien. Parfois, ce processus est accompagné d'erreurs structurelles. Par exemple, des segments d'ADN peuvent être perdus, on parle alors de “délétion”. C'est un peu comme si tout un chapitre d'un livre manquait. Dans le cas de “duplication”, les segments sont hérités en double d'un des parents et sont alors présents en trois exemplaires.»

En 2010, Sébastien Jacquemont découvrait, avec des collègues français, que le nombre de copies d'une région du chromosome 16 est lié à l'indice de masse corporelle. Plus précisément, une association entre obésité, autisme et délétion de fragments d'ADN a été mise en évidence. En 2011, son équipe a mis au jour qu'une perte dans cette région nommée 16p11.2 était liée à 70 % de risques de devenir obèse, à des retards du développement et à une augmentation de la croissance cérébrale, alors qu'une duplication de ce même fragment du chromosome était associée à un faible poids, à la schizophrénie et à un déficit de la taille du cerveau.

Les altérations remarquées sur le chromosome 16 n'expliquent qu'un petit nombre de cas d'autisme, un pour cent environ. Mais, grâce aux travaux de l'équipe de Sébastien Jacquemont, on sait désormais que le dosage génique de cette région module la croissance cérébrale.

Sous-dosage et surdosage génétiques

Depuis que le syndrome de l'autisme a été décrit en 1943 par le psychiatre Léo Kanner, l'autisme a suscité un débat quant à ses causes : naît-on autiste ou le devient-on?

Aujourd'hui, la dimension génétique de l'autisme, longtemps niée par une partie du monde psychiatrique, ne fait plus de doute. «Le risque pour un enfant autiste d'avoir un frère ou une sœur atteint du syndrome est 10 fois supérieur à celui de la population en général», signale le Dr Jacquemont. L'autisme a une composante génétique dans une proportion d'à peu près 60 à 90 %. Ce lien a été démontré dans des études menées auprès de jumeaux monozygotes (identiques) et dizygotes (non identiques).

Mais on n'a pas encore trouvé d'explication au fait que les garçons sont quatre fois plus touchés que les filles par l'autisme. Une récente étude réalisée auprès de deux grandes populations présentant des variations génétiques et publiée en 2014 dans la revue American Journal of Human Genetics soulève un coin du voile entourant ce mystère. Les résultats révèlent que les filles ont beaucoup plus d'atteintes génétiques dans leur ADN que les garçons. «Cela indique qu'à nombre d'atteintes génétiques égal les filles s'en sortiraient mieux que les garçons. Leur cerveau semble être mieux armé pour faire face à certaines mutations et les compenser», souligne le Dr Jacquemont, auteur principal de l'étude.

Autre hypothèse? Le comportement des filles, plus adaptable, qui sont naturellement plus aptes à la communication et à la socialisation, pourrait contrebalancer des mutations génétiques qui handicapent les garçons. «Rien n'est sûr, admet le généticien, mais cela pourrait expliquer en partie qu'on reçoit moins de petites filles en consultation.»

Ce problème d'ordre neurologique, dont les degrés de gravité varient, est aussi appelé trouble du spectre de l'autisme. Il se caractérise par des problèmes d'interactions sociales, des difficultés de communication verbale et des gestes répétitifs et stéréotypés. Seule une petite proportion des personnes diagnostiquées le doivent à l'anomalie d'un seul gène. La grande majorité des cas dépend de combinaisons variables de mutations.

La Chaire de recherche du Canada en génétique des troubles neurodéveloppementaux et des maladies neuropsychiatriques permettra à Sébastien Jacquemont de consolider les travaux qu'il effectue sur les anomalies chromosomiques associées aux troubles neurodéveloppementaux. L'un des axes prometteurs de ses études porte sur les effets du dosage génique sur leurs symptômes cognitifs et psychiatriques. À partir de données génétiques et cliniques, de la neuro-imagerie et de biomarqueurs, il espère élucider les mécanismes par lesquels certains gènes mènent à des déficiences et à des symptômes cliniques.

«Est-ce qu'on peut montrer que d'autres traits cliniques comme le comportement et la cognition sont aussi corrélés au dosage génique? se demande le chercheur. Y a-t-il des altérations dans le cerveau des individus qui présentent des mutations génétiques? Le mécanisme général de sous-dosage et de surdosage pourrait nous permettre de comprendre pourquoi on trouve les mêmes gènes mais pas les mêmes mutations dans l'autisme et la schizophrénie.»

Pour l'heure, si l'effet délétère des mutations sur le développement est prouvé, les chercheurs ignorent encore comment les variations structurelles peuvent avoir des manifestations cliniques aussi diverses. Leur caractérisation pourrait conduire à l'élaboration d'outils de diagnostic et ouvrir des pistes thérapeutiques.

Région en jeu dans le système de récompense

Depuis sa résidence en médecine à l'Université de Nantes, en France, en 1996, Sébastien Jacquemont a vu la génétique prendre un grand essor. «À l'époque, c'était l'âge de pierre. Les progrès accomplis dans le domaine permettent maintenant d'analyser, sur tout le génome humain, les différences du nombre de copies sur des segments d'ADN», cite-t-il en exemple.

Témoin et acteur des avancées de cette science, le Dr Jacquemont a été parmi les premiers à appliquer les connaissances cliniques à la recherche comme méthode d'investigation. À 42 ans, il arrive à Montréal avec l'énergie d'un jeune homme. Ce père de deux fillettes et d'une adolescente est un grand amateur de plein air. Même s'il a beaucoup de pain sur la planche, on le verra probablement se promener sur le mont Royal ou faire du ski dans les Laurentides.

En tout cas, il n'a pas attendu que son nouveau bureau soit aménagé pour poursuivre ses recherches. Il vient d'ailleurs de terminer une étude qui suscite une vive curiosité. Une cinquantaine de personnes aux prises avec une mutation génétique sur le chromosome 16 ont accepté de faire un «petit tour» dans un appareil d'imagerie par résonance magnétique afin qu'on enregistre l'anatomie de leur cerveau. Les résultats parus dans la revue Molecular Psychiatry montrent que la région du chromosome 16 contrôle la structure du circuit neuronal en jeu dans le système de récompense.

Dominique Nancy

 

 

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