Négociations sur le Brexit: des droits fondamentaux pourraient être bafoués
- Forum
Le 9 avril 2018
- Martin LaSalle
À un an de la fin des négociations sur la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne, la Faculté de droit de l’UdeM a tenu un colloque sur différents enjeux de ce dossier complexe.
Les négociations entourant la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne (UE) – le Brexit – pourraient avoir d’importantes répercussions sur les droits des citoyens du Royaume-Uni.
Un exemple? Une personne née en Irlande du Nord est citoyenne britannique, irlandaise et européenne*. Mais avec le Brexit, elle perdrait sa citoyenneté européenne, bien que l’Irlande fasse partie de l’UE… Ce qui la priverait de ses droits fondamentaux européens.
C’est là l’un des enjeux qui ont été soulevés à l’occasion d’un colloque organisé par la Faculté de droit de l’Université de Montréal et la Chaire Jean-Monnet en droit de l’Union européenne et tenu le 29 mars, soit un an jour pour jour avant la fin légalement prévue des négociations sur le Brexit.
Animée par le professeur Stéphane Beaulac, la rencontre avait pour thème «Brexit: à faire ou à défaire? Perspectives comparée, européenne et internationale».
*En vertu de l’accord de paix pour l’Irlande du Nord, signé le 10 avril 1998, tout individu né en Irlande du Nord a le droit de se déclarer irlandais, britannique ou les deux et d'être reconnu comme tel.
Perte de privilèges en vue pour les Britanniques
Pour la professeure Nanette Neuwahl, de la Faculté de droit de l’UdeM, la citoyenneté européenne est une notion qui disparaîtra pour les Britanniques après le Brexit.
«Ils perdront cette citoyenneté supranationale, car le Royaume-Uni deviendra un pays tiers de l’UE et il faut se demander pourquoi le Royaume-Uni sacrifie un tel privilège», a indiqué la titulaire de la Chaire Jean-Monnet en droit de l’Union européenne.
D’autant plus que le maintien des droits des citoyens européens est considéré comme crucial depuis le début des négociations sur le Brexit.
«Malgré quelques avancées [sur le statut de citoyen européen], on est dans l’inconnu et l’incertitude, ce qui en soi est une atteinte aux droits fondamentaux!» a déclaré Aude Bouveresse, professeure de droit public et de droit de l’Union européenne à l’Université de Strasbourg.
En fait, les droits fondamentaux de l’UE reposent d’abord et avant tout sur les libertés économiques, c'est-à-dire la libre circulation des personnes, des capitaux et des marchandises.
«À la base, le citoyen européen est un agent économique actif qui peut circuler librement», a précisé Mme Bouveresse. Avec le traité de Maastricht, en 1993, et l’égalité de traitement qu’il implique, la notion de citoyen européen non actif est apparue; c’est un principe charnière intégré aux lois européennes.»
Ce qui pose le problème potentiel suivant: actuellement, un citoyen britannique qui travaille et vit en France bénéficie de l’égalité de traitement, des avantages sociaux et des droits de séjour familial associés à sa citoyenneté européenne. Il en est de même pour sa conjointe d’origine canadienne qui vit avec lui. Or, si le mari est muté dans un autre pays – par exemple l’Allemagne –, il ne pourra plus se prévaloir de ces privilèges, puisque son statut d’Européen sera gelé après le Brexit. Et sa femme devra, quant à elle, rester en France pour éviter de perdre ses droits…
«La question est de savoir si la citoyenneté européenne est un droit acquis ou si on la retirera bien qu’elle ait été acquise avant le Brexit, a mentionné Aude Bouveresse. Certains droits seront sans doute maintenus, mais ils ne seront pas équivalents à ce qu’on a actuellement.»
Une reprise de contrôle par le Royaume-Uni, vraiment?
L’idée que la Grande-Bretagne reprenne le contrôle de son avenir – économie, commerce, lois, frontières, immigration et autres – a été au cœur de l’argumentaire défendu par les tenants du Brexit. «Ceux qui s’opposaient à cette volonté étaient accusés d’être les ennemis du peuple», a souligné Paul Daly, ancien professeur adjoint et vice-doyen à la Faculté de droit de l’UdeM.
Or, selon lui, ce discours pose aujourd’hui plusieurs problèmes et fait ressortir certaines ironies.
Par exemple, pour combler un vide juridique que le Brexit entraîne en vertu de l’European Communities Act de 1972, le Parlement britannique a adopté le 17 janvier dernier le projet de loi sur le retrait de l'Union européenne (European Union Withdrawal Bill).
Celui-ci a pour objet d’harmoniser les lois européennes et la législation britannique pour permettre au Royaume-Uni de fonctionner normalement. La Chambre des lords, majoritairement pro-UE, est à étudier ce projet de loi et de nombreux amendements sont à prévoir avant son adoption.
«On souhaite conserver le statu quo pour maintenir l’harmonie entre le droit européen et le droit britannique, mais en procédant ainsi, on a repris le contrôle pour… le redonner à l’Union européenne; plus encore, il n’y aura plus de représentants ni de juges britanniques à l’UE», a relevé M. Daly.
Par ailleurs, des clauses du projet de loi permettent à l’exécutif britannique de modifier des dispositions par décret et règlement, sans passer par le processus législatif. «Or, la Chambre des lords a déjà signifié que le pouvoir accordé à l’exécutif est inacceptable», a ajouté le spécialiste en droit public et administratif de l’Université de Cambridge.
Et, même si les ministres avaient cette prérogative, les juges pourraient annuler leurs décisions en statuant que les questions ainsi réglées ne relèvent pas de leur compétence. «Le Parlement donne donc le pouvoir à l’exécutif et aux juges de déterminer quand il est ou non approprié de s’appuyer sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne.»
«Reprendre le contrôle est très difficile et il y a, dans le cas du Brexit, des leçons à tirer et des ironies dont devraient tenir compte plusieurs mouvements, qu’ils soient protectionnistes ou nationalistes», a conclu Paul Daly.
La transparence: outil de négociation de l’Union européenne
«Le Conseil européen fait de la transparence un des principes de base des négociations autour du Brexit. Il précise que ça vaut pour l’intégralité du processus, soit du retrait et des discussions préliminaires jusqu’au cadre futur», a observé la professeure Cécile Rapoport, de l’Université de Rennes 1.
Ainsi, la transparence repose sur le principe du plus large accès possible du public à l’information concernant l’Union européenne. Cependant, les états membres sont soumis à ce principe seulement lorsqu’ils agissent dans le cadre de l’UE, de sorte que le Royaume-Uni n’y est pas soumis, puisqu’il ne siège plus au Conseil européen.
«En fait, les positions de l’UE sont centralisées en ce qui concerne les négociations sur le Brexit, a dit Mme Rapoport. On ne laisse pas place à d’autres versions que l’officielle, de sorte que la notion de transparence est malmenée ou, du moins, ambigüe.»
À ses yeux, la transparence a deux fonctions dans le cas du Brexit. D’une part, elle vise la cohésion européenne, avec le souci «de montrer que les négociations ne se font pas dans le dos des Européens: elle permet ainsi le contrôle démocratique et rassure à l’interne et à l’externe».
D’autre part, la transparence constitue en soi un élément de la stratégie de négociation de l’Union européenne. «Par la maîtrise de l’information, elle évite les positions divergentes des États membres et permet de se placer en position de force par rapport au Royaume-Uni.»
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’UE n’utilise que la langue anglaise dans les négociations sur le Brexit, selon Cécile Rapoport. «On cible ainsi les médias et les citoyens britanniques pour pallier l’opacité et la centralisation de l’information de la part du gouvernement britannique sur le sujet, a-t-elle souligné. Et ça fonctionne: le Royaume-Uni a dû s’adapter dans la diffusion de l’information sur ce plan.»