Mission: observer des chauves-souris, la nuit, en Haïti…

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  • Le 30 avril 2018

  • Mathieu-Robert Sauvé
Julie Faure a cherché à documenter la relation particulière entre une cinquantaine d’espèces de plante et les chauves-souris.

Julie Faure a cherché à documenter la relation particulière entre une cinquantaine d’espèces de plante et les chauves-souris.

Crédit : Andy Morffew

En 5 secondes

Une chercheuse au doctorat a observé dans une forêt antillaise le ballet nocturne qui se déroule entre certaines plantes et leur pollinisateur atypique, la chauve-souris.

Postée en pleine nuit près d’un bosquet de plantes tropicales, Julie Faure surveille avec sa lampe frontale au faisceau rouge les allées et venues d’une espèce de chauve-souris afin de la prendre en flagrant délit de pollinisation. «Il existe quelques espèces de chauves-souris nectarivores et celle que nous avons identifiée permet la fécondation de la fleur de Rhytidophyllum bicolor, explique l’étudiante de doctorat du Département de sciences biologiques de l’Université de Montréal. Il faut être vigilant, car l’opération dure moins d’une seconde.»

Nous sommes en janvier dernier au parc national de Macaya, à l’ouest de l’île d’Hispaniola, où la jeune chercheuse a obtenu l’autorisation d’observer pendant 10 nuits consécutives cette opération nocturne mutualiste qui se déroule habituellement dans le plus grand secret. Quand le mammifère ailé vient s’alimenter dans la corolle, il dépose sur le pistil de microscopiques grains de pollen venus de ses précédents repas qui permettront à la fleur de donner un fruit. La biologiste quitte alors son poste d’observation et recueille des matières végétales dans une éprouvette. Sous le microscope, elle confirmera la pollinisation de chacun des 25 échantillons ramenés d’Haïti.

La recherche de l’étudiante française, sous la direction de Simon Joly, consiste à documenter la relation particulière entre une cinquantaine d’espèces de plantes et leurs pollinisateurs atypiques. «La plupart des plantes comptent sur des insectes comme les abeilles et les papillons pour leur pollinisation, signale-t-elle. Mais des oiseaux et des chauves-souris sont aussi des pollinisateurs reconnus. Plusieurs mystères planent sur cette relation particulière.»

Généraliste ou spécialiste?

Julie Faure

Crédit : Amélie Philibert

Sept espèces de colibris (Anthracothorax mango, Anthracothorax viridis, Chlorostilbon maugaeus, Anthracothorax dominicus, Chlorostibon swainsonii, Chlorostilbon ricordii et Trochilus polytmus) et trois de chauves-souris (Phyllonycteris aphylla, Phyllonycteris poeyi et Monophyllus redmani) pollinisent les gesnériacées antillaises. Si certaines plantes dépendent exclusivement d’une espèce pour survivre, d’autres sont plus généralistes.

L’objectif de Julie Faure est de mieux comprendre les relations plantes-pollinisateurs et l’évolution des systèmes de reproduction dans cette famille végétale. Comment les pollinisateurs choisissent-ils les plantes qu’ils vont polliniser? Qu’est-ce qui amène une plante à s’adapter à un pollinisateur précis ou au contraire à en attirer le plus possible? Quelle stratégie est la meilleure? Voilà quelques questions qui l’intéressent.

«La présence du généralisme chez ces genres en fait un sujet d’étude très intéressant, puisque le syndrome généraliste est encore sujet à un grand nombre d’interrogations, autant sur son possible avantage évolutif que sur les variables le favorisant (faible diversité de pollinisateurs, variables environnementales, etc.). Les pressions de sélection favorables à ce syndrome assez récent et favorisé dans les îles sont encore peu étudiées», écrit-elle dans un résumé de son travail de recherche qui fera l’objet de deux articles scientifiques prochainement.

Son projet de doctorat, qui devrait prendre fin en 2020, permettra de mesurer l’équilibre fragile entre ces différentes espèces, dans un contexte où la déforestation et les changements climatiques menacent chaque jour un peu plus. Au dernier ouragan qui a frappé les côtes antillaises par exemple, d’innombrables colibris ont été balayés par les vents.

Moment magique

En dépit du caractère exigeant de sa mission de terrain – elle marchait au milieu de la forêt à la tombée du jour pour atteindre sans bruit son poste d’observation –, elle affirme n’avoir eu peur à aucun moment. «D’abord, il faut savoir qu’il n’y a aucun grand mammifère ni reptile dangereux dans la forêt haïtienne. Et puis je n’étais pas seule, puisque mon professeur, un assistant de recherche et un guide se trouvaient tout près», confie-t-elle.

Le guet a même permis un réel moment de grâce lorsqu’un essaim de lucioles est soudainement venu illuminer le ciel constellé d’étoiles. «C’était magique!»

  • Cette fleur doit sa survie à une chauve-souris qui se nourrit de son nectar, déposant au passage des grains de pollen d'une fleur voisine.

    Crédit : Julie Faure
  • La Rhytidophyllum bicolor est une gesnériacée antillaise que l'étudiante a localisée au parc de Macaya, en Haïti.

    Crédit : Julie Faure

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