Une étudiante permet à des non-voyants de «voir» des tableaux!

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  • Le 11 mai 2018

  • Mathieu-Robert Sauvé
Patricia Bérubé veut permettre aux non-voyants d'apprécier les oeuvres d'art.

Patricia Bérubé veut permettre aux non-voyants d'apprécier les oeuvres d'art.

Crédit : Thinkstock

En 5 secondes

Patricia Bérubé propose de traduire en trois dimensions des œuvres d’art pour permettre aux non-voyants d’apprécier des tableaux.

Amener des non-voyants à voir des tableaux; non seulement leurs motifs mais aussi leurs couleurs… C’est le défi incroyable que s’est lancé Patricia Bérubé dans ses travaux de maîtrise en histoire de l’art. Et à en croire Jean-Daniel Aubin, l’un des neuf participants à sa recherche, elle a en partie réussi. «Ç’a été une grande émotion de réaliser que je pouvais de nouveau apprécier la beauté d’une œuvre», témoigne dans une vidéo cet amateur d’art visuel qui a perdu la vue en 2012 à la suite d’une maladie. 

Les grands musées du monde tentent de plus en plus de mettre leurs collections à la portée des clientèles atypiques et la peinture représente pour eux un défi particulier «en raison de sa bidimensionnalité et de la place prépondérante accordée à la couleur», a expliqué Mme Bérubé au dernier congrès de l’Association francophone pour le savoir – Acfas, à l’Université du Québec à Chicoutimi, le 7 mai. On ne peut pas permettre la manipulation d’œuvres picturales comme on pourrait le faire avec la sculpture par exemple.

Bannière de l'exposition «Prisme d'yeux», 1948, huile sur toile.

Crédit : Fonds de l'Association des bénévoles du Musée des beaux-arts de Montréal, Alfred Pellan, SODRAC (2013).

C’est en transposant sur un canevas en relief une huile d’Alfred Pellan ayant servi à la bannière de l’exposition Prisme d’yeux qu’elle a permis à M. Aubin de «voir» l’œuvre. Les motifs géométriques (triangles, rectangles, cercles et losanges) sont reproduits à l’identique sur une plaque que l’homme découvre avec le bout de ses doigts. Et à chaque couleur correspond une texture particulière, répertoriée à l’aide d’une légende tactile. «On oublie qu’on ne voit plus, qu’on est aveugle», lance M. Aubin dans la vidéo tournée à l’occasion du concours du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada J’ai une histoire à raconter. Le court film de la jeune femme a d’ailleurs été retenu parmi les vidéos finalistes de l’UdeM au concours de cette année.

Traduire une œuvre en 3D

Si l’impression en trois dimensions peut sembler une avenue prometteuse pour donner du relief à un tableau, Mme Bérubé ne l’a pas retenue à cette fin précise. «Le résultat n’était pas concluant, car les couches successives étaient perceptibles aux doigts experts. Nous avons plutôt choisi de recourir à cette technologie pour créer les moules dans lesquels serait coulé du silicone rigide. J’ai ensuite amélioré les prototypes à la lumière des commentaires des participants de mon groupe de discussion; ce travail a conduit à deux prototypes distincts: le premier présente les formes, le deuxième les couleurs», commente-t-elle.

Même s’il existe des caractères de l’alphabet braille pour les différentes couleurs, cet élément devait être repensé pour un usage en médiation culturelle. Les textures ont été choisies avec l’aide des participants en fonction des couleurs: unie pour le blanc, relevée pour le rouge…

Peut-on traduire toutes les œuvres en surfaces tactiles? a demandé un auditeur à la conférencière. «Probablement pas dans les conditions actuelles», a répondu Mme Bérubé, qui se réjouit tout de même de voir les musées lancer des initiatives allant dans ce sens. La Joconde, de Léonard de Vinci, a été reproduite en trois dimensions. Mais aucune solution n’est proposée pour la couleur.

La charge émotive des couleurs

Patricia Bérubé a levé le voile sur un élément inattendu relatif à la couleur. «Les résultats préliminaires de cette étude nous ont permis de révéler une piste intéressante qui mériterait qu’on s’y attarde davantage, à savoir que les participants tendent à associer chaque couleur à la charge émotive qui y est traditionnellement liée dans notre culture nord-américaine», affirme-t-elle.

Intéressée depuis longtemps par la couleur en arts – elle souhaitait en apprendre davantage sur Eugène Delacroix, mais elle trouvait cette étude peu utile socialement –, elle a trouvé un projet de recherche à la jonction de l’histoire de l’art et de la muséologie.

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