La vie est de retour dans le nid de la tour
- Forum
Le 15 mai 2018
- Mathieu-Robert Sauvé
Un couple de faucons pèlerins nidifie avec succès au sommet de la tour de l’Université de Montréal ce printemps.
Au matin du 15 mai, quelque 70 personnes visionnaient en direct sur Internet les premières images de deux fauconneaux éclos durant la nuit. Leur mère, Ève, la femelle faucon pèlerin installée au nichoir du 23e étage de la tour de l’Université de Montréal, couvait depuis 25 jours ses quatre œufs. Grâce à la caméra haute définition en fonction 24 heures par jour, on a pu voir les oisillons chercher à briser leurs coquilles en piaillant.
«Pour nous, c’est un moment très excitant, car il n’y avait pas eu de naissances viables depuis trois saisons», explique Ève Bélisle, analyste au Centre de calcul thermochimique de Polytechnique Montréal. Avec des collègues ornithologues, Mme Bélisle suit l’évolution de la nidification universitaire, qui a débuté en 2007. Or, les derniers fauconneaux à avoir quitté le nid pour voler de leurs propres ailes étaient nés en 2015. En 2016 et 2017, les œufs n’avaient pas éclos.
Depuis qu’elle occupe un bureau dont la fenêtre donne sur le site de nidification, Ève Bélisle a documenté ses observations et lancé plusieurs initiatives pour assurer aux oiseaux de proie des conditions de reproduction optimales, notamment la construction d’un abri. Surnommée la marraine des faucons de l’UdeM, elle tient depuis 11 ans un registre où sont consignés les épisodes de cette aventure. C’est d’ailleurs en son honneur que la nouvelle maman a été nommée.
Éole et Ève
Inceste, rivalité et double vie ont marqué le parcours du couple à l’origine de la présente nidification. Il faut savoir que le mâle est né de la couvée 2011 du premier couple, Spirit et Roger. Éole est l’un des nombreux descendants de ces faucons qui ont nidifié chaque année au sommet de la tour jusqu’en 2014, à l’exception de 2012. Cette année-là, des rénovations sur le dôme de cuivre avaient forcé le couple à nicher ailleurs. On l’a vu rôder à l’oratoire Saint-Joseph, mais sans y élire domicile.
En 2015, un mâle qu’on a nommé Arthurin s’est accouplé avec Spirit et quatre fauconneaux ont vu le jour. Mais ce fut une histoire sans lendemain, car Éole est venu convoler avec Spirit, sa mère… «L’inceste n’est pas exceptionnel chez les oiseaux, mais c’est rarement documenté», mentionne Mme Bélisle. La consanguinité ne serait toutefois pas la cause de l’insuccès des deux dernières saisons de nidification. L’âge de la mère en serait plutôt responsable.
Grâce à la communauté des ornithologues montréalais, on sait qu’Éole a convolé avec Ève durant la dernière année et qu’ils ont eu des petits dans leur nid à l’incinérateur des Carrières, dans l’arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie.
Bataille aérienne
Ève Bélisle relate avec émotion l’arrivée de la rivale sur le territoire de Spirit l’automne passé. «Les deux femelles se sont affrontées dans une bataille très violente. J’avais le cœur brisé de voir Spirit battre en retraite, gravement blessée.»
C’est la bienveillance d’un camionneur qui a permis qu’on retrouve Spirit, gisant sur le bord de l’autoroute Décarie, à Montréal. La matriarche âgée de 14 ans a été transportée à l’Union québécoise de réhabilitation des oiseaux de proie, à Saint-Hyacinthe, où le Dr Guy Fitzgerald l’a admise. «Elle était mal en point. Maigre, faible, arthritique. On a même retrouvé un plomb provenant d’une arme à feu», relate Mme Bélisle. Après plusieurs mois d’hospitalisation, elle a été relâchée l’automne dernier.
Le ballet des parents est un spectacle impressionnant. Le mâle apporte à sa femelle des proies matin et soir, alors qu’elle veille sur sa couvée. Dans les prochaines semaines, des ornithologues procéderont au bagage des fauconneaux afin de pouvoir suivre leurs déplacements. La vigilance de ces naturalistes amateurs a probablement contribué à l’amélioration de la santé de l’espèce, qui a connu une nette amélioration depuis une décennie. Le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada a confirmé en décembre que ces oiseaux de proie (Falco peregrinus) ne faisaient plus partie de la liste des espèces en voie de disparition.