L’effet placébo peut persister durant le sommeil
- Forum
Le 16 mai 2018
- Martin LaSalle
Des chercheurs de l’UdeM sont parvenus à créer, chez des personnes éveillées, un effet placébo qui s’est poursuivi au cours de leur sommeil, ouvrant la voie à de nouvelles approches thérapeutiques.
Des chercheurs de l’Université de Montréal sont parvenus à créer, chez des personnes en état d’éveil, un effet placébo qui s’est poursuivi au cours de leur sommeil, une découverte qui pourrait ouvrir la voie à de nouvelles approches pour atténuer la douleur, notamment chez les gens souffrant d’une maladie chronique.
Publiée dans la revue Progress in Neuropsychopharmacology & Biological Psychiatry, l’étude a été réalisée par cinq chercheurs de l’UdeM, soit Danièle Laverdure-Dupont et Cédric Renancio, du Département de neurosciences, Jacques Montplaisir, du Département de psychiatrie et d'addictologie, et Gilles Lavigne et Pierre Rainville, de la Faculté de médecine dentaire.
L’étude expérimentale, menée auprès de neuf adultes, consistait à instaurer un conditionnement visant à engendrer un effet placébo pour contrer une douleur provoquée par de la chaleur et à vérifier si cet effet pouvait se prolonger durant le sommeil des sujets. Elle a été réalisée au Centre d’études avancées en médecine du sommeil du Centre de recherche de l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal.
L’effet placébo
L’effet placébo chez des personnes éveillées est bien documenté dans la littérature scientifique: il a été démontré que, lorsqu’on suggère à un patient qu’un médicament diminuera ses symptômes, le patient peut effectivement ressentir un soulagement.
L’inverse est aussi vrai: la prise d’un médicament peut amplifier les symptômes d’un patient si celui-ci croit que le traitement peut être nocif: c’est ce qu’on appelle l’effet nocébo.
En fait, ce sont les attentes du patient et le conditionnement qui contribuent à produire l’effet placébo ou nocébo. «Les attentes ont une influence lorsque les croyances du patient sont arrimées aux symboles et suggestions qui sont proposés par le soignant, ainsi qu’au contexte général», mentionne M. Rainville.
Conditionner le cerveau
Pour conditionner le cerveau des participants de l’étude, M. Rainville et ses collègues leur ont expliqué qu’ils testaient une crème analgésique réputée efficace contre la douleur. Pendant ce conditionnement individuel effectué en soirée, on leur a installé une plaque de trois centimètres sur trois sur les deux bras et on les a soumis à des stimulations thermiques.
À l’insu des participants, la chaleur était moins élevée sur le bras enduit de crème «analgésique» afin d’accentuer l’impression d’efficacité de la crème et d’entraîner ainsi l’effet placébo.
Dans l’intervalle, les chercheurs évaluaient l’incidence des stimulations thermiques sur le cerveau par des mesures polysomnographiques obtenues par un électroencéphalogramme. L’exercice a été répété durant la première nuit de sommeil.
Au cours des deux nuits suivantes, on a mis la plaque sur un bras enduit de crème dite «analgésique» ou sur l’autre bras non crémé, mais à une température équivalente sur les deux bras (47 °C, le seuil de tolérance étant de 50 °C).
Effet placébo et sommeil paradoxal
Malgré les stimulations thermiques identiques sur les deux bras, l’effet placébo s’est manifesté chez les sujets lorsque la crème «analgésique» avait été appliquée sur l’un des deux bras et cet effet s’est poursuivi au cours des phases de sommeil paradoxal. Ces phases sont celles au cours desquelles on rêve.
Outre la réduction de la douleur observée par polysomnographie grâce à l’effet placébo, les sujets ont rapporté avoir ressenti moins de perturbations du sommeil et moins de douleur durant la nuit où on leur avait appliqué la crème placébo.
«Si l'analgésie au placébo a réduit les éveils cérébraux causés par les stimulus thermiques aigus administrés au cours des périodes de sommeil paradoxal, elle a toutefois eu une action inverse pendant le sommeil lent: l’effet placébo augmentait l'éveil cérébral», fait remarquer Pierre Rainville.
Une influence… singulière!
Cette différence de l’effet placébo sur les phases paradoxale et lente du sommeil constitue un paradoxe en soi, selon M. Rainville.
«Les résultats nous indiquent que l’effet placébo se manifeste au cours des deux phases du sommeil, mais que le cerveau répond de façon opposée à la suggestion d’un effet analgésique», poursuit le professeur du Département de stomatologie de la Faculté de médecine dentaire.
Selon lui, il est possible que l’anticipation de l’effet analgésique soit interprétée différemment par le cerveau pendant le sommeil lent.
«L’avenue plausible est que, quand on n’applique pas de crème placébo sur son bras, le sujet s’endort en sachant qu’il ressentira des stimulations douloureuses, avance M. Rainville. Mais comme il sait aussi qu’elles ne seront pas dangereuses, il pourrait déclencher des mécanismes de protection, comme on le voit chez des patients admis à l’hôpital et qui savent qu’il y aura du bruit autour, mécanisme qui ne serait pas activé par la crème placébo.»
Tout est question de dosage
L’effet placébo relevé pendant le sommeil paradoxal comporte une autre contradiction: plus le sommeil est ponctué de phases paradoxales, moins il y a d’effet placébo le lendemain, peu importe les attentes du sujet. Inversement, le postdoctorant Florian Chouchou a montré que, en bloquant pharmacologiquement le sommeil paradoxal, on peut augmenter l’effet placébo le lendemain.
«Le sommeil paradoxal pourrait être en cause dans la reconfiguration de croyances, un moment où l’on réactive des faits survenus avant de dormir en les réévaluant positivement ou négativement, précise Pierre Rainville. Si le conditionnement n’a pas été convaincant pour le sujet en soirée, son sommeil sera davantage composé de phases paradoxales, ce qui diminuera l’effet placébo, et vice versa.»
Dans la pratique, les conclusions de cette étude devront être validées par d’autres recherches destinées à explorer les mécanismes sous-jacents à la variation de l’effet placébo constatée au cours des phases du sommeil.
Le cas échéant, elles pourraient permettre d’améliorer la qualité de vie des personnes atteintes d’un trouble chronique tel le syndrome des jambes sans repos.