Maladies du cœur et traitements: les femmes et les personnes âgées mises sur la touche

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Une étude démontre que les femmes et les personnes âgées continuent d’être largement sous-représentées dans les essais cliniques bien qu’elles soient majoritairement touchées par les maladies du cœur.

Quand vient le temps pour un médecin de déterminer le meilleur traitement pour un patient, les résultats des essais cliniques randomisés réalisés sur les traitements disponibles vont orienter son choix. Or, ces dernières années, il a été démontré que, à l’inverse des idées reçues, les femmes sont plus nombreuses à souffrir de maladies cardiovasculaires que les hommes. Et il en est de même pour les personnes âgées au regard des tranches plus jeunes de la population.

Pourtant, une étude publiée dans Circulation: Cardiovascular Quality and Outcomes et menée par le Dr Quoc Dinh Nguyen, professeur à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal, indique que les chercheurs continuent de tester de nouvelles interventions sur des personnes de 63 ans d’âge moyen, composée en grande majorité d’hommes (71%), alors que la population générale atteinte de maladie cardiaque est composée en majorité de femmes et de personnes âgées entre 68 et 69 ans.

« Cet écart s’est à peine réduit dans les 20 dernières années, tandis que le vieillissement de la population s’accélère », précise le Dr Nguyen, qui est aussi gériatre au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM).

Dr Quoc-Dinh-Nguyen.

Cette sous-représentation des femmes et des personnes âgées dans les essais cliniques peut avoir des conséquences fâcheuses sur les soins prodigués à ces deux groupes de patients. En effet, le corps d’une personne âgée ne réagit pas de la même façon que celui d’une personne plus jeune à plusieurs interventions ou médicaments. Souvent, les doses ou les effets secondaires peuvent être différents, mais pour les connaître, il faut entreprendre des essais cliniques sur un nombre significatif de personnes âgées. La même logique s’applique pour les femmes.

«Cela oblige les médecins à appliquer des résultats obtenus chez des patients de l’autre sexe ou plus âgés sans avoir la certitude que cette généralisation est adéquate», déplore le Dr Nguyen.

Ce sont d’ailleurs des discussions avec des collègues et des questionnements récurrents sur cette problématique qui ont poussé le Dr Nguyen, alors qu’il faisait sa résidence en gériatrie, à se lancer dans cette étude d’envergure en collaboration avec des médecins résidents d’autres spécialités, soit l’anesthésie, la psychiatrie, la médecine d’urgence et la cardiologie.

Les études cliniques les plus influentes scrutées à la loupe

Il y a environ 20 ans, plusieurs chercheurs avaient mis en lumière le problème de la sous-représentation de plusieurs groupes de la population dans les essais cliniques, notamment des femmes. «Notre équipe de recherche désirait savoir si une amélioration marquée des pratiques s’était opérée depuis», précise le gériatre.

Pour ce faire, l’équipe de résidents a scruté les 25 essais cliniques les plus cités (les plus influents) chaque année sur une période de 20 ans, soit de 1996 à 2015, afin de comparer l’âge et le sexe des sujets aux données sur la prévalence des maladies cardiovasculaires dans la population américaine publiées dans le National Health and Nutrition Examination Survey 2015-2016.

Les maladies cardiovasculaires examinées dans cette étude sont la maladie coronarienne, la fibrillation auriculaire, l’insuffisance cardiaque, l’hypertension et les facteurs de risque cardiovasculaire. Le diabète a aussi été étudié, puisque les diabétiques courent de deux à quatre fois plus de risques de souffrir d’une maladie cardiovasculaire.

Des résultats qui suscitent la déception

«Notre équipe de recherche a été plutôt déçue de constater que, bien que la situation se soit quelque peu améliorée, il faudrait encore des décennies pour éliminer le biais de représentativité dans les essais cliniques, de dire Éric Peters, anesthésiste au CHU Sainte-Justine et second auteur de l’étude. Selon nos calculs, si la tendance se maintient, il faudra 90 ans pour arriver à la parité en ce qui concerne la maladie coronarienne! Et ce, sans compter le vieillissement de la population, qui s’accélère actuellement.»

Les résultats révèlent que les femmes ne sont représentées qu’à 29 %, en médiane, dans les 500 essais cliniques analysés et la moyenne d’âge des sujets n’est que de 63 ans. «Dans les services des urgences, de médecine interne, de cardiologie et de gériatrie des hôpitaux, on se rend compte qu’on est bien loin de la population qu’on traite», ajoute le Dr Nguyen.

Dans le cas des maladies du cœur, la sous-représentation la plus importante des femmes et des gens âgés concerne la maladie coronarienne et l’insuffisance cardiaque. Par exemple, 54,6 % des personnes atteintes de maladie coronarienne aux États-Unis sont des femmes, mais les essais cliniques sur cette maladie ne comptent que 27,4 % de femmes.

Les maladies du cœur sont des maladies d’hommes: croyance ou réalité?

Les médecins et les chercheurs ont longtemps cru que les maladies du cœur touchaient surtout les hommes, mais la recherche médicale a montré que c’était faux. En réalité, plus de femmes que d’hommes décèdent aujourd’hui d’une maladie du cœur ‒ deuxième cause de mortalité au Canada ‒, mais en sont affectés plus tardivement au cours de leur vie, soit environ 10 ans plus tard que les hommes pour la maladie coronarienne et l’insuffisance cardiaque.

De plus, la mortalité chez les hommes liée aux maladies du cœur a diminué davantage que chez les femmes, car, selon l’une des hypothèses les plus plausibles de la littérature scientifique, les médecins sous-évalueraient le risque chez les femmes, qui seraient donc moins souvent traitées que les hommes.

Pourquoi l’exclusion d’autant de femmes et de personnes âgées continue-t-elle?

Les femmes ont été longtemps exclues des essais cliniques en raison de la possibilité qu’elles puissent tomber enceintes. «Toutefois, cet argument ne tient pas la route lorsqu’il s’agit d’essais en cardiologie dont les sujets ont en moyenne 63 ans.»

L’âge des participants a aussi une influence sur le nombre de femmes recrutées. Puisque les femmes sont atteintes de maladies cardiaques plus tard que les hommes, il faudrait que les chercheurs recrutent des gens plus âgés pour s’assurer d’avoir une juste proportion de femmes.

Or, recruter des personnes âgées rend la tâche des chercheurs plus complexe. En effet, plus un individu est âgé, plus il est difficile pour lui de se déplacer afin de participer à une étude clinique. En outre, plus on vieillit, plus on risque de souffrir de diverses affections et de consommer plusieurs types de médicaments. Les chercheurs préfèrent donc exclure ces sujets pour éviter que d’autres maladies interfèrent dans les résultats de leur essai clinique. Il y a aussi le fait que les personnes âgées sont plus fragiles et moins tolérantes aux effets secondaires des médicaments testés.

Les babyboumeurs changeront-ils la donne?

Aux États-Unis, la population des 65 ans et plus doublera d’ici une trentaine d’années. Au Québec comme ailleurs, les premiers babyboumeurs ont atteint l’âge de 73 ans. La demande de soins en cardiologie va donc exploser dans les prochaines années.

«Nous avons la responsabilité de faire mieux, croit fermement le Dr Nguyen. Il faut recruter plus de femmes et de personnes âgées pour les essais cliniques en assouplissant les critères d’admissibilité et en mettant en œuvre des moyens pour favoriser leur participation, par exemple en demandant la collaboration des familles et en mettant en place une logistique de transport. Il faudra aussi que les agences règlementaires instaurent une règlementation plus sévère pour améliorer la représentation de ces deux groupes de personnes. »

«Il en va de la qualité des soins que nous offrons à la population», conclut-il.

À propos de cette étude

Quoc Dinh Nguyen, Eric Peters, Andréanne Wassef, Philippe Desmarais, Delphine Rémillard-Labrosse et Maxime Tremblay-Gravel, «Evolution of Age and Female Representationin the Most-Cited Randomized Controlled Trials of Cardiology of the Last 20 Years», Circulation: Cardiovascular Quality and Outcomes, 9 juin 2018. doi.org/10.1161/CIRCOUTCOMES.118.004713

Cette étude a été financée par deux bourses de recherche de la Fondation du CHUM et une bourse de la Fondation de l’Institut de cardiologie de Montréal.

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