L’insertion professionnelle des immigrants: une priorité négligée par les partis

Marie-Thérèse Chicha, professeure à l'École de relations industrielles de l'Université de Montréal.

Marie-Thérèse Chicha, professeure à l'École de relations industrielles de l'Université de Montréal.

Crédit : Amélie Philibert

En 5 secondes

Le recours aux travailleurs étrangers pour combler la pénurie de main-d'oeuvre risque d’avoir une efficacité limitée pour les employeurs, selon la professeure Marie-Thérèse Chicha.

Par Marie-Thérèse Chicha, professeure à l’École de relations industrielles et titulaire de la Chaire en relations ethniques

D’une année à l’autre, l’insertion professionnelle des immigrants continue à se heurter à de nombreux obstacles. Des annonces ponctuelles sont faites par les gouvernements en place, sans qu’on en mesure ou dévoile leur effet réel.

Bien que l’insertion en emploi des immigrants ne soit pas une préoccupation centrale de la campagne électorale, comme en témoignent les déclarations des partis politiques, elle est une question quand même présente à travers la grave pénurie de main-d’œuvre que connaît le Québec, particulièrement en région. Une sélection des immigrants qui correspondrait aux professions recherchées permettrait théoriquement d’atténuer le besoin de main-d’œuvre auquel certains employeurs ne peuvent répondre.

La nécessité de maîtriser le français comme préalable à une intégration réussie est l’autre angle par lequel la question de l’immigration s’invite dans la campagne. Il est même proposé de n’admettre que les candidats à l’immigration qui connaissent bien le français ou de renvoyer chez eux ceux qui, au bout d’un certain temps, ne l’ont pas encore appris.

Recourir aux immigrants pour contrer la pénurie de main-d’œuvre?

Le recours aux travailleurs étrangers pour combler la pénurie de main-d'œuvre risque d’avoir une efficacité limitée pour les employeurs. Un premier obstacle est le temps qui peut s’écouler entre le moment où une pénurie se manifeste, celui où l’employeur réussit à repérer un candidat étranger, celui où ce candidat obtient son permis de travail et, enfin, le moment où il s’installe au Québec. Durant ce laps de temps, les conditions économiques peuvent changer et modifier les besoins en main-d’œuvre.

Un autre obstacle réside dans le fait que la pénurie de main-d’œuvre n’est pas un problème propre au Québec: elle concerne l’ensemble des économies avancées, créant ainsi une surenchère pour attirer les travailleurs étrangers qualifiés et réduisant du même coup le bassin de candidats potentiels désirant travailler au Québec. Recourir à l’immigration pour combler la pénurie de main-d’œuvre n’est donc pas une voie aussi facile qu’il y paraît.

Par ailleurs, le recours à des travailleurs étrangers temporaires ne règle pas la situation de précarité économique de milliers d’immigrants, particulièrement d’immigrantes, déjà installés au Québec. Plusieurs d’entre eux possèdent les diplômes et l’expérience professionnelle correspondant aux emplois vacants.

Cependant, en raison de la sous-évaluation de leur expérience et de leurs diplômes étrangers ou en raison de préjugés ou de stéréotypes à leur endroit ou encore par crainte de la différence, leur candidature n’est pas retenue. Cette situation frappe surtout les membres des minorités visibles issus du Maghreb ou de l’Afrique subsaharienne.

Maîtrise du français et insertion professionnelle

Les divers partis politiques ont souligné le caractère central de la maîtrise du français dans l’insertion professionnelle des immigrants, attribuant – explicitement ou non – leur taux de chômage élevé et leur situation précaire sur le marché du travail à la méconnaissance de la langue officielle du Québec. 

Établir une telle relation de cause à effet occulte le fait que les taux de chômage élevés touchent principalement les immigrants originaires d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne qui, dans la grande majorité, parlent très bien le français! C‘est aussi ignorer le fait que leurs enfants – les enfants de la loi 101 – rencontrent eux-mêmes des obstacles dans leur intégration au marché du travail…

Devant de tels constats, quelles seraient les voies à suivre pour faciliter l’insertion professionnelle des immigrants? Deux d’entre elles, dont on entend très peu parler dans cette campagne, nous paraissent prioritaires: les programmes d’insertion en entreprise et la lutte contre les discriminations.

Les programmes d’insertion en entreprise

Le Programme d’aide à l’intégration des immigrants et des minorités visibles en emploi (PRIIME) pourrait, s’il était appliqué sur une large échelle, répondre aux deux préoccupations mentionnées ci-dessus et, en même temps, assurer aux immigrants une insertion en emploi correspondant à leur qualification.

Ce programme repose sur l’action conjuguée de trois acteurs: l’État (Emploi-Québec), l’employeur et l’immigrant. L’employeur offre à l’immigrant un emploi correspondant à sa qualification et reçoit en retour une subvention salariale de l’État ainsi qu’une compensation financière non négligeable afin de couvrir notamment une formation (par exemple linguistique) dont l’immigrant aurait besoin. Il ne s’agit pas d’un stage ou du remplacement d’un employé en congé, mais bien d’un emploi en bonne et due forme pouvant mener à la permanence.

Souvent présenté comme une mesure phare par le gouvernement du Québec, le PRIIME a fait ses preuves depuis plus de 10 ans. Cependant, il est peu utilisé: il couvre annuellement moins de 1000 immigrants.

La lutte contre les discriminations

La lutte contre les discriminations ne semble pas non plus préoccuper les partis politiques durant cette campagne électorale.

Pourtant, la discrimination en emploi à l’égard des immigrants, surtout de ceux qui appartiennent à une minorité visible, est largement documentée au Québec. Des tests basés sur l’envoi de curriculums vitæ fictifs identiques dont le nom du candidat est francophone dans un cas et «étranger» dans l’autre ont démontré l’existence de préjugés défavorables à l'endroit du second.

D’autres études ont mis en évidence les mécanismes de l’exclusion, dont les préjugés et les stéréotypes qui amènent les employeurs à refuser d’emblée les candidats immigrants, spécialement lorsqu’ils appartiennent à une minorité visible, ou à leur faire subir des microagressions.

À cela s’ajoute le fait que le maître d’œuvre de la lutte contre les discriminations, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, traverse une crise majeure depuis plus d’un an et dont aucun parti ne semble s’inquiéter.

En résumé, des problèmes réels tels que la discrimination sur le marché du travail sont devenus tabous et personne n’ose les nommer. La participation active des acteurs du marché de l’emploi à travers des programmes porteurs est rarement mentionnée. Il est à craindre que, laissée au libre jeu du marché dicté par les pénuries de main-d’œuvre, l’insertion professionnelle des immigrants ne s’améliore que très lentement, entraînant des coûts économiques et humains élevés.

Voir la page de Marie-Thérèse Chicha.

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