Que nous dit le langage non verbal des chefs pendant les débats électoraux?

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  • Le 19 septembre 2018

  • Martin LaSalle
Échantillon des expressions des chefs qu'a analysées le professeur Pierrich Plusquellec, à l'aide du Facial Action Coding System, au cours du débat du 13 septembre dernier.

Échantillon des expressions des chefs qu'a analysées le professeur Pierrich Plusquellec, à l'aide du Facial Action Coding System, au cours du débat du 13 septembre dernier.

Crédit : Images fournies par Pierrich Plusquellec

En 5 secondes

À quelques heures du deuxième débat électoral en français, UdeMNouvelles présente une analyse du professeur Pierrich Plusquellec sur le langage non verbal des chefs de parti au cours du premier débat.

Amélie Philibert

Pierrich Plusquellec

Crédit : Amélie Philibert

Auteur de plusieurs études scientifiques sur le langage non verbal, Pierrich Plusquellec a récemment publié un billet dans lequel il analyse la dynamique des expressions faciales des chefs des partis politiques qui ont croisé le fer au cours du premier débat diffusé en français, le jeudi 13 septembre.

Professeur à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal et chercheur au Centre d’études en sciences de la communication non verbale, M. Plusquellec décrit ce qu’il a observé par l’entremise d’outils scientifiques éprouvés... contrairement à la synergologie.

Que révèle votre analyse des expressions faciales affichées par les chefs des partis politiques au cours du premier débat télévisé?

Pendant le débat du 13 septembre, nous avons mesuré 20 unités d’action faciale ‒ comme le sourire, le froncement de sourcils, le haussement de sourcils ‒ et nous avons ainsi pu quantifier six émotions de base: la joie, la tristesse, la colère, le dégoût, la surprise et la peur. Dans le billet publié sur LinkedIn, nous avons documenté uniquement la joie ‒ un signal d’affiliation ‒ et la colère ‒ un signal d’agressivité. Nous avons ensuite insisté sur le lever de sourcils ‒ un indicateur du désir de convaincre quand on parle ‒ et sur le froncement de sourcils ‒ un indicateur de contrariété.

Nous avons donc observé différentes stratégies émotionnelles chez les candidats. Philippe Couillard cherchait à être le moins expressif possible, Jean-François Lisée employait presque exclusivement des expressions faciales positives, Manon Massé usait elle aussi des émotions positives mais en moindre quantité et François Legault affichait des émotions aussi bien positives que négatives.

Essentiellement, la dynamique des expressions faciales durant le débat a été dominée par une attitude de marbre de la part du premier ministre sortant, Philippe Couillard; François Legault avait une expressivité débridée et tentait de convaincre sur tous les fronts, tantôt souriant, tantôt attaquant; Jean-François Lisée s’exprimait avec économie et surtout par des émotions positives probablement pour susciter l’affiliation d'un plus grand nombre de téléspectateurs; et Manon Massé tentait également de convaincre tout en restant mesurée mais bien présente sur la scène du débat.

Quels outils utilisez-vous pour analyser le langage non verbal?

Nous avons fait appel à un système validé dans les années 70 par Paul Ekman et Wallace Friesen, le Facial Action Coding System (FACS).

Utilisé dans plus de 5000 études scientifiques, le FACS représente un standard dans la quantification des expressions faciales. Il permet de quantifier l’intensité de quelque 50 unités d’action d’un visage. La combinaison de certaines de ces unités d’action donne des indicateurs fiables d’émotions.

L’analyse bibliométrique que Vincent Denault et moi-même avons publiée en avril dernier illustre que le FACS est un outil scientifique consensuel.

Pour l’analyse du premier débat, nous nous sommes focalisés sur les expressions faciales des candidats, mais il existe plusieurs autres indicateurs non verbaux scientifiquement documentés auxquels nous aurions pu recourir, dont le mouvement des mains pendant que les candidats parlent: se gratter ou jouer avec ses doigts, ou encore la posture et la direction des regards.

J’insiste sur le fait que notre analyse est sommaire: la codification du FACS n’est pas optimale quand les personnes s’expriment, puisque les unités d’action faciale, soit les actions des muscles, peuvent être déformées, surtout celles du bas du visage. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes concentrés sur les unités d’action du haut du visage, excepté pour le sourire qui reste fidèle, même dans le cas de la production de parole. Cependant, il serait possible d'aller beaucoup plus loin, par exemple en scrutant les expressions faciales en lien avec le discours ou les attaques verbales des candidats.

Nous aurions aussi pu centrer notre analyse sur d’autres canaux du non-verbal, comme les mouvements des mains, la posture ‒ la tendance à se mettre littéralement en avant ou en arrière ‒ et les regards. De plus, nous aurions pu tirer profit des indicateurs non verbaux de dominance documentés par Judith Hall, chercheuse renommée en langage non verbal, tel le ratio de dominance visuelle ‒ quel est le candidat qui a été le plus regardé par les autres au cours du débat? ‒ ou encore de la force de la voix ou le nombre de fois qu’un candidat en interrompt un autre avec succès pendant le débat – tous des indicateurs scientifiquement validés.

En quoi les attitudes non verbales peuvent-elles influencer les électeurs?

Comme le font remarquer mes collègues Vincent Denault et Maxime Labrecque dans un article publié dans la revue Dire, l’impression de compétence des politiciens qu’un électeur ne connaît ou ne reconnaît pas, après avoir vu une photo de leur visage pendant moins d’une seconde, permet de prédire s'ils seront élus ou pas.

Autrement dit, lorsque l’électeur ne possède pas toute l’information nécessaire pour se forger une opinion éclairée sur les enjeux électoraux, il peut, sans même s’en rendre compte, se rabattre sur une impression qui se dégage de l’observation très brève de l’image des politiciens, voire sur leurs caractéristiques vocales. Ainsi, les électeurs préfèrent généralement les politiciens, hommes ou femmes, ayant un ton de voix plus bas.

Y a-t-il eu un gagnant, sur le plan des expressions non verbales, au débat du 13 septembre?

Il est difficile de savoir qui a réalisé la meilleure performance émotionnelle, d’un point de vue non verbal, au cours de ce débat.

La littérature scientifique indique qu’un leader qui souhaite convaincre le plus grand nombre de gens devrait se montrer réconfortant et donc avoir une attitude positive, qui suscite l’affiliation. D’un autre côté, l’expressivité faciale est gage de leadership dans une discussion. Et l’agressivité en situation de compétition est aussi indicatrice de leadership.

Puisqu'une plus grande expressivité faciale est reconnue comme un indicateur de dominance, tout indique que François Legault a tenté de s’imposer en tant que futur premier ministre, en étant présent émotionnellement sur tous les sujets. Il semble avoir occupé le débat, son engagement ne fléchissant à aucun moment.

Jean-François Lisée, quant à lui, semble avoir choisi d’afficher le plus d’affects positifs possible, sans doute pour susciter l'affiliation d'un plus grand nombre d’électeurs.

Les résultats montrent que Manon Massé a tenu tête aux autres candidats malgré sa place dans les sondages.

Enfin, Philippe Couillard paraît avoir choisi la stratégie de celui qui semble contrôler les évènements et que rien ne peut perturber.

En somme, disons que chacun est sans doute allé chercher ce qu’il souhaitait en adoptant telle ou telle stratégie émotionnelle.

Voir la page de Pierrich Plusquellec.

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