Consommation de cannabis à l'adolescence: pas sans risque pour le développement cognitif

Crédit : Getty

En 5 secondes

Une étude menée par des chercheurs du CHU Ste-Justine et de l'UdeM confirme que la consommation de cannabis est liée à des effets négatifs et persistants sur les capacités cognitives des adolescents.

Bien que des études aient établi que l'abus d'alcool et de cannabis était lié à une altération de la cognition chez les jeunes, elles n'étaient pas conçues pour comprendre cette relation et déterminer si la consommation de cannabis était la cause ou la conséquence des troubles cognitifs. Une nouvelle étude dirigée par des chercheurs au CHU Sainte-Justine et à l'Université de Montréal, publiée dans l'American Journal of Psychiatry, démontre que, au-delà du rôle de la cognition dans la vulnérabilité à la toxicomanie, les effets concomitants et persistants de la consommation de cannabis chez les adolescents peuvent être observés sur des fonctions cognitives importantes et semblent être plus prononcés que ceux observés pour l'alcool.

Outre ses effets intoxicants aigus, l’abus d’alcool et de cannabis a été associé à des altérations sur les plans de l’apprentissage, de la mémoire, de l’attention et de la prise de décisions, ainsi qu’à de faibles résultats scolaires. «Bien que de nombreuses études aient rapporté des différences de performances cognitives entre les jeunes consommateurs et les non-consommateurs, il reste à déterminer les effets causals et durables de l’usage de substances chez les adolescents sur leur développement cognitif», explique Jean-François G. Morin, coauteur de l’étude et étudiant au doctorat à l’Université de Montréal. La professeure Patricia Conrod, auteure principale de l’étude et chercheuse au Département de psychiatrie et d’addictologie de l'UdeM, mentionne que «très peu d'études ont été conçues pour étudier cette question du point de vue du développement. Notre étude est unique en ce sens, car elle a suivi un large échantillon d'élèves de la première à la quatrième année du secondaire afin de recueillir des mesures cognitives et sur la consommation de substances. En utilisant une grande base de données, nous avons pu modéliser la nature complexe de la relation entre ces ensembles de variables».

Pour comprendre la relation entre l'alcool, la consommation de cannabis et le développement cognitif chez les adolescents à tous les niveaux de consommation (abstinents, consommateurs occasionnels ou grands consommateurs), l'équipe de recherche a suivi un échantillon de 3826 adolescents canadiens sur une période de quatre ans. En utilisant un modèle statistique prenant en compte le développement cognitif, les auteurs ont étudié les relations entre les changements d’une année à l’autre dans la consommation de substances et le développement parmi un certain nombre de domaines cognitifs, tels que la mémoire de rappel, le raisonnement perceptuel, l’inhibition et la mémoire de travail. Une analyse de régression multiniveau a été utilisée pour tester conjointement la vulnérabilité et les effets concomitants et persistants sur chaque domaine cognitif. L'étude a montré que la vulnérabilité à la consommation de cannabis et d'alcool à l'adolescence était associée à une performance généralement inférieure dans tous les domaines cognitifs.

Le cannabis se démarque de l’alcool

«Cependant, une nouvelle augmentation dans la consommation de cannabis, mais pas dans la consommation d’alcool, a montré des effets concomitants et durables supplémentaires sur les fonctions cognitives, comme le raisonnement perceptuel, la mémoire de rappel, la mémoire de travail et l’inhibition comportementale», souligne Patricia Conrod. «Le fait que la consommation de cannabis ait été associée à des effets durables sur la mesure de l’inhibition comportementale, qui est un facteur de risque pour d’autres comportements toxicomanogènes, est particulièrement préoccupant et pourrait expliquer pourquoi la consommation précoce de cannabis est un facteur de risque pour d’autres dépendances, ajoute Jean-François G. Morin. Certains de ces effets sont encore plus prononcés lorsque la consommation débute précocement à l’adolescence.»

Dans un contexte où les politiques et les attitudes concernant l’usage de substances sont repensées, ces résultats mettent l’accent sur l’importance de protéger les jeunes des effets négatifs de la consommation en investissant davantage dans les programmes de prévention.

«Il sera important de mener des analyses semblables avec cette cohorte ou des cohortes similaires lors de la transition vers l'âge adulte, lorsque la consommation d'alcool et de cannabis devient plus importante», indique Patricia Conrod. «Ceci pourrait être particulièrement pertinent pour les effets de l'alcool: bien que cette étude n'ait pas associé les effets de la consommation d'alcool chez les adolescents au développement cognitif, des effets neurotoxiques peuvent être observés dans certains sous-groupes différenciés en fonction du niveau de consommation, du sexe ou de l'âge, poursuit Jean-François G. Morin. Nous souhaitons également déterminer si ces effets sur le développement du cerveau sont liés à d'autres complications telles que les difficultés scolaires, les dommages neuroanatomiques et le risque de dépendance ou de troubles mentaux futurs.»

À propos de l’étude

L’article intitulé «A Population-Based Analysis of the Relationship between Substance Use and Adolescent Cognitive Development» a été publié dans l’American Journal of Psychiatry en octobre 2018. Le premier coauteur est Jean-François G. Morin, étudiant au doctorat sous la supervision de Patricia Conrod. L’auteure principale est Patricia Conrod, chercheuse et directrice du laboratoire Venture au CHU Sainte-Justine, professeure titulaire au Département de psychiatrie et d’addictologie de l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire DJulien/Fondation Marcelle et Jean Coutu en pédiatrie sociale en communauté de l’Université de Montréal. La présente étude a été financée par les Instituts de recherche en santé du Canada, le Fonds de recherche du Québec ‒ Santé, le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et le Programme des chaires de recherche du Canada.

Auteurs: Jean-François G. Morin, Mohammad H. Afzali, Josiane Bourque, Sherry H. Stewart, Jean R. Séguin, Maeve O’Leary-Barrett et Patricia J. Conrod.

À propos du Centre de recherche du CHU Sainte-Justine

Le Centre de recherche du CHU Sainte-Justine est un établissement phare en recherche mère-enfant affilié à l’Université de Montréal. Axé sur la découverte de moyens de prévention innovants, de traitements moins intrusifs et plus rapides et d’avenues prometteuses de médecine personnalisée, il réunit plus de 200 chercheurs, dont plus de 90 chercheurs cliniciens, ainsi que 500 étudiants de cycles supérieurs et postdoctorants. Le centre est partie intégrante du Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, le plus grand centre mère-enfant au Canada.

Relations avec les médias

Sur le même sujet

drogue adolescence psychiatrie