Les Autochtones du Lac-Saint-Jean veulent rapatrier des objets d’un musée américain
- Forum
Le 4 octobre 2018
- Mathieu-Robert Sauvé
Une anthropologue a accompagné des Ilnuatsh désirant rapatrier des objets culturels datant du siècle dernier conservés dans un musée américain.
Du 30 mai au 7 juin 2013, sept élèves de troisième secondaire de la communauté ilnu de Mashteuiatsh, au Lac-Saint-Jean (Myriam-Uapukiniss Duchesne, Andrew Duchesne, Dexter-Ozzy Dubé-Dominique, Simon Buissière-Launière, Gabrielle Paul, Annie-Sophie Neashish-Petiquay et Marie-Ange Raphaël), se sont rendus au National Museum of the American Indian, de Washington – une filiale de la Smithsonian Institution – afin de voir de leurs yeux et de manipuler des objets ayant appartenu à leurs ancêtres, comme des tambours, une courroie de portage et un manteau en peau d’orignal. Certains objets qu’ils ont observés à cette occasion font depuis l’objet d’une procédure de rapatriement.
«La procédure pourrait durer plusieurs années encore, mais les discussions sont entamées entre les responsables américains des collections ethnographiques et la communauté ilnu, en particulier le musée amérindien de Mashteuiatsh», explique l’anthropologue Carole Delamour, qui a accompagné ce groupe dans les démarches de rapatriement. Elle a consacré ses études de doctorat au Département d’anthropologie de l’Université de Montréal à cette question du retour dans leur communauté d’origine d’objets culturels et sacrés.
La procédure de rapatriement, indique-t-elle dans sa thèse, est complexe et multifactorielle et nécessite la collaboration de plusieurs acteurs: États, peuples autochtones, organismes internationaux, musées, établissements d’enseignement et de science, etc. Si les Ilnuatsh retrouvent un jour les objets en question, il s’agirait d’une première au Québec. Des restes humains ont déjà été rapatriés de musées à l’étranger, mais pas d’objets patrimoniaux amassés dans le courant de missions ethnographiques.
Le but de l’étudiante n’était pas tant de documenter le rapatriement de tels objets que de suivre le processus de découverte de ces artéfacts. Une jeune femme témoigne par exemple de son étonnement quand elle a vu dans le sous-sol du musée de la capitale américaine «des matériaux utilisés par ma grand-mère, qu’on ne trouve plus aujourd’hui». «Je dirais que ma principale surprise, durant mes études doctorales, est liée à ces découvertes. Les jeunes n’en revenaient pas d’apprendre que des objets provenant de leur communauté étaient conservés dans de grands musées ethnographiques», relate l’anthropologue.
Le paradoxe de Speck
Le musée de Washington doit beaucoup aux travaux de l’anthropologue américain Frank G. Speck, qui s’est rendu au lac Saint-Jean il y a un siècle afin d’étudier le peuple nomade qu’on appelait alors les Montagnais. Il a rapporté des centaines d’objets qui ont été répartis dans différents musées. «Frank G. Speck était un excellent anthropologue. Il notait scrupuleusement les artéfacts qu’il collectionnait et transcrivait ses échanges dans des documents qui ont été bien préservés», note celle qui a suivi ses pas au siècle suivant.
Aujourd’hui, ces notes sont très précieuses pour documenter les dossiers de rapatriement. En prenant connaissance de ses pratiques, «il est plutôt paradoxal de se demander s’il avait pu envisager un jour que ses propres recherches et ses nombreuses notes seraient utilisées pour tenter de rapatrier les objets qu’il a lui-même collectés et vendus aux musées», écrit la chercheuse.
Son doctorat, réalisé en cotutelle avec le Museum d’histoire naturelle de Paris, présente le résultat de plus de 90 entrevues menées au cours des dernières années. Il est terminé depuis plusieurs mois, mais est actuellement sous embargo pour des raisons de validation auprès de la communauté, dans le cadre du processus de négociation avec la Smithsonian Institution.
Objets sacrés?
L’une des principales difficultés du rapatriement consiste à démontrer que les objets ciblés avaient une vocation «sacrée» et n’appartenaient pas simplement au «patrimoine culturel». Les musées sont, en effet, très réticents à l’idée de restituer des pièces de leurs collections. Le problème, c’est que pour les Autochtones presque tout ce qui nous entoure a un sens sacré. La doctorante cite la phrase suivante sur la page couverture de sa thèse: «S’il faut rapatrier tout ce qui est sacré, c’est la terre qui va venir à nous.»
En raison de son utilisation pendant des cérémonies rituelles, le tambour pourra sans doute être reconnu comme tel; de même, la courroie employée par les portageurs, faite de peau de cervidé, avait un sens sacré, car elle permettait à l’esprit de l’animal de continuer son voyage avec les communautés humaines. Toutefois, le manteau, dont le style militaire est d’influence européenne, pourrait échapper à cette catégorie.
Mais le vêtement, fait de cuir d’orignal, a suscité un intérêt particulier lorsqu’il a été examiné par les jeunes Ilnuatsh, puis par les spécialistes consultés ultérieurement. «Il porte un motif inhabituel, une sorte d’insecte qu’on a identifié comme une larve de libellule. Or, l’aîné à qui le manteau appartenait avait dit que de cet insecte dépendait la survie de la ouananiche.»
Le saumon lacustre n’étant pas reconnu pour s’alimenter d’odonates, il a fallu pousser les recherches écologiques et l’on a découvert que le tacon – ou jeune ouananiche – se nourrissait des larves de libellules. «Cela nous a montré à quel point les savoirs populaires pouvaient être riches sur le plan écologique», affirme Mme Delamour.
Innus, Ilnuatsh… qui sont les Autochtones de Mashteuiatsh?
«La Première Nation de Mashteuiatsh fait partie de la nation ilnu (ou innue). La forme ilnu est préconisée dans le dialecte des Pekuakamiulnuatsh, qui se distingue de la graphie innu utilisée principalement sur la Côte-Nord», peut-on lire dans un document diffusé en 2012 par la communauté autochtone installée aux abords du lac Saint-Jean depuis 1856. De plus en plus, la communauté qu’on désignait autrefois sous le nom de Montagnais privilégie la forme ilnu (ilnuatsh au pluriel), qui n’est pas francisée. «L’adoption d’une nouvelle dénomination uniquement en nehlueun (“notre langue”) a été faite dans une optique d’affirmation et de mise en valeur de notre langue», dit encore le document.
Cette graphie est maintenant acceptée dans plusieurs revues scientifiques, notamment dans Recherches amérindiennes au Québec.