Le SPVM et Twitter: une main de fer dans un gant de velours
- UdeMNouvelles
Le 14 octobre 2018
- Daniel Baril
Le SPVM utilise les médias sociaux autant comme outil de communication avec le public et les manifestants que comme outil stratégique, selon une étude réalisée par trois chercheurs de l’UdeM.
Il n’y a pas que le président américain qui sait tirer profit de Twitter; les agents du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) ont eux aussi appris à maîtriser cette messagerie électronique tout autant que les organisateurs de manifestations. Aux tactiques pour contenir physiquement les manifestants s’ajoutent donc des outils informatiques qui servent à la fois pour communiquer avec le public et avec les manifestants et comme outil stratégique.
C’est ce qui ressort d’une étude réalisée par trois chercheurs de l’École de criminologie de l’Université de Montréal sur les gazouillis publiés par le SPVM lors de manifestations de rue à Montréal.
Trois stratégies d’intervention
Selon les criminologues, les services de police des grandes villes ont considérablement modifié, depuis les années 70, leurs stratégies d’intervention à l’égard des manifestations. «Ils sont progressivement passés d’une approche répressive à une approche de négociation, explique le doctorant Simone Tuzza, auteur principal de l’étude. Cette approche visait à protéger le droit des manifestants tout en tolérant un certain désordre et en n'autorisant le recours aux arrestations qu’in extrémis et de manière sélective.»
La manifestation massive contre l’Organisation mondiale du commerce, à Seattle en 1999, a par la suite signifié un retour à des stratégies plus musclées. «On parle maintenant de “neutralisation stratégique”, poursuit le chercheur. L’objectif est de sécuriser la société en freinant ‒ par des collectes d’informations, des arrestations préventives et des zones clôturées ‒ l’action de manifestants considérés comme perturbateurs.»
Cette dernière stratégie, qui combine négociation et interventions répressives, est qualifiée par les criminologues de «main de fer dans un gant de velours».
Recours aux mots-clics
Quel que soit le modèle, la négociation avec les manifestants nécessite une communication directe et efficace. Dans ce contexte, des outils comme Twitter peuvent s’avérer fort utiles. Simone Tuzza et ses collègues ont cherché à savoir quel usage le SPVM faisait de ce microblogue. Pour ce faire, ils ont analysé le contenu de quelque 914 messages marqués du mot-clic «#manifencours» publiés par le SPVM entre septembre 2012 et juin 2015.
Rappelons qu’à la fin de l’été 2012 le SPVM venait de faire face à plus de 600 manifestations qui ont marqué le désormais célèbre «printemps érable». Cette période agitée a été l’un des facteurs qui a amené le SPVM à réaliser qu’il y avait un intérêt à utiliser Twitter, soutient Simone Tuzza. Le printemps 2015 a lui aussi été marqué par de nombreuses manifestations, cette fois contre les mesures d’austérité dans les services publics.
L’analyse des gazouillis montre que la très vaste majorité des messages, soit 84,5 %, est à contenu informatif (rues bloquées, méfaits, dispersion, etc.). Près de 37 % de l’ensemble des gazouillis policiers constituent d’ailleurs des réponses aux demandes d’information de la part du public et portant entre autres sur la circulation. «Il s’agit d’une découverte surprenante mais significative du lien établi par le SPVM avec la population», observe le chercheur.
Les messages destinés à donner des conseils aux manifestants représentent pour leur part 8 % des communications. Cette catégorie inclut, par exemple, les suggestions de trajets à emprunter et le signalement de comportements répréhensibles, mais sans usage d’autorité.
Une troisième catégorie, à contenus impératifs et relevant d’ordres adressés aux manifestants ‒ tels les interdictions d’infraction, les manifestations déclarées illégales et les ordres de dispersion ‒, compte pour 4,8 % des messages policiers.
Plus de 10 % des messages s’adressent directement aux manifestants. «La communication avec les protestataires s’avère donc une préoccupation importante du Service de police», affirme M. Tuzza.
Le SPVM se démarque
Ces résultats diffèrent d’autres études menées notamment en Angleterre et qui font état d’une utilisation beaucoup moins soutenue et moins ciblée des médias sociaux en pareilles circonstances. L’usage des mots-clics souvent propres à chacune des manifestations permet aux gens qui ne sont pas abonnés à la page du SPVM d’avoir accès aux informations sur ces rassemblements. Selon les auteurs de l’article, les agents du Service de police «ont probablement acquis une expertise spécifique quant à l’usage de ces médias à partir des évènements du printemps érable».
Alors que certains chercheurs estiment que des plateformes comme Twitter profitent aux manifestants en leur permettant de meilleurs échanges de renseignements en temps réel comme le font les policiers, l’étude de Simone Tuzza montre que l’exploitation particulièrement habile par le SPVM de toutes les fonctions de Twitter a peut-être accru l’asymétrie d’information au profit des policiers.
Ces fonctions s’ajoutant aux techniques traditionnelles de collecte d’informations et de contrôle, les chercheurs concluent que le SPVM recourt à la «main de fer dans un gant de velours mais suivant une stratégie où le gant de velours est prépondérant».
L’étude a été publiée dans le numéro de juin dernier de la Revue canadienne de criminologie et de justice pénale sous la triple signature de Simone Tuzza, Samuel Tanner et Cassandre Carpentier-Laberge.