L’intelligence artificielle indispensable à la production de nouveaux médicaments
- UdeMNouvelles
Le 26 octobre 2018
- Daniel Baril
La table ronde qui ouvrait le 12e Symposium international de l'IRIC a lancé une discussion importante sur le rôle de l’intelligence artificielle dans la découverte de médicaments.
Le développement rapide de la biologie moléculaire, qui permet de séquencer des génomes humains en quelques jours, a engendré une somme phénoménale de données d’une richesse inestimable pour la recherche visant la production de médicaments. Sébastien Lemieux, chercheur principal à l’Institut de recherche en immunologie et en cancérologie (IRIC) de l’Université de Montréal, n’hésite pas à parler d’un véritable «tsunami de données» que les outils actuels n’arrivent pas à intégrer efficacement pour bien orienter les décisions des chercheurs.
Pour combler cette lacune, les chercheurs en biologie médicinale doivent intégrer l’intelligence artificielle afin de «créer des algorithmes ou instruments virtuels qui condensent des données brutes en formes qui se prêtent davantage à la découverte de connaissances», a fait valoir Sébastien Lemieux à une table ronde organisée par l’IRICoR, soit l’unité de l’IRIC chargée de la commercialisation de la recherche.
Ce débat entre divers intervenants des milieux universitaire et industriel ouvrait le 12e Symposium international de l'IRIC, tenu les 23 et 24 octobre sur le thème de l’intelligence artificielle et la découverte de médicaments.
L’aube d’une révolution
De l’aveu des quatre participants à la table ronde, l’intelligence artificielle est non seulement utile, mais absolument nécessaire pour faire progresser les découvertes en biologie médicinale et pharmaceutique.
«L’intelligence artificielle peut révolutionner la façon de faire grâce aux modèles très performants qu’elle permet de construire», a mentionné Therence Bois, cofondateur d’InVivo AI, une entreprise qui recourt à l’intelligence artificielle pour produire des médicaments moins toxiques. À son avis, le Québec, tout comme le reste du monde, souffre toutefois d’un manque d’expertise dans ce domaine.
Les données sur lesquelles les chercheurs peuvent travailler sont très complexes à acquérir et difficiles à utiliser. Pour Sébastien Lemieux, le défi consiste à élaborer des algorithmes capables de prendre en considération d’aussi petits éléments que les molécules. Si les systèmes actuels peuvent rendre compte efficacement de faits comme la parole et l’audition, les amener à l’échelle des molécules pourrait grandement changer les performances des modèles employés en biochimie.
Une autre difficulté pour la recherche universitaire est l’accès à ces données. «Certaines données sont publiques, mais elles sont générales et ne peuvent servir qu’à des algorithmes généraux, a poursuivi M. Lemieux. Pour des médicaments ciblés comme ceux en immunologie et en cancérologie, il nous faut des données produites par les entreprises.» L’interaction entre les différents agents est donc essentielle.
Pierre Côte, intervenant à cette table ronde en tant que représentant de la compagnie pharmaceutique Boehringer Ingelheim, a affirmé qu’en ce qui concerne son entreprise les données source sont disponibles. Les données cliniques peuvent quant à elles être aussi accessibles sous certaines conditions.
«L’industrie pharmaceutique est en retard dans l’intégration de l’intelligence artificielle», a déploré M. Côte. À son avis, le plus grand apport de la bio-informatique sera de permettre le transfert des connaissances relatives à un tissu ou un organe à un autre tissu ou organe.
Du côté des investisseurs en capital, Jean-Sébastien Cournoyer, cofondateur de Real Ventures, a admis que son secteur d’activité n’a pas été à l’avant-garde dans l’intégration de l’intelligence artificielle. Il avait tout de même un exemple à donner de la contribution de son entreprise, soit le soutien accordé à la compagnie Imagia, qui travaille à rendre accessibles des soins de santé personnalisés. Il s’agit à ses yeux de l’un des plus grands succès de l’intelligence artificielle en cancérologie.
M. Cournoyer s’est montré par ailleurs inquiet de voir des géants comme Google concurrencer les centres de recherche universitaires. «Ce ne sera pas nécessairement une bonne chose pour la société», craint-il.
Le Canada et Montréal en bonne place
Les quatre intervenants ont tous reconnu que, malgré le travail qu’il reste à accomplir, Montréal est en bonne place sur la scène internationale en ce qui concerne le recours à l’intelligence artificielle dans la production de médicaments.
L’intégration de l’intelligence artificielle dans le domaine pharmaceutique demeure toutefois un objectif à développer. «La force de Montréal est dans le talent créatif. Nous sommes présents sur la map, mais il faut valoriser ce talent», selon Pierre Côte.
De l’avis de Jean-Sébastien Cournoyer, cette intégration est en voie de se réaliser notamment à Montréal, qui dispose d’unités de recherche très performantes dans les deux disciplines ainsi qu’en affaires. «Montréal est très bien placée», a-t-il déclaré.
Sébastien Lemieux ne pouvait que confirmer cette vision en donnant l’exemple de l’IRIC. «Depuis 15 ans, des chercheurs en chimie médicinale et en informatique se côtoient ici», a-t-il dit.
L’IRIC a en effet été l’un des premiers centres de recherche au Canada à appliquer une approche multidisciplinaire combinant la génomique, la protéomique et la bio-informatique dans la recherche de médicaments, le tout en lien avec le milieu clinique et les agences de commercialisation par sa filiale, l’IRICoR. Une équipe de près de 500 chercheurs, professeurs et cliniciens y travaille.