Libre accès aux articles scientifiques: le Canada traîne la patte!

  • Forum
  • Le 30 octobre 2018

  • Mathieu-Robert Sauvé
Les efforts des organismes subventionnaires canadiens pour rendre la production scientifique accessible pourraient être multipliés.

Les efforts des organismes subventionnaires canadiens pour rendre la production scientifique accessible pourraient être multipliés.

Crédit : Getty

En 5 secondes

Vincent Larivière et une collègue américaine évaluent que la gratuité est limitée à deux tiers des articles scientifiques pourtant destinés au libre accès.

Alors que 90 % des articles tirés de travaux financés par les National Institutes of Health (NIH) américains sont accessibles gratuitement aux lecteurs universitaires dans les 12 mois suivant leur publication, environ la moitié de ceux que financent les Instituts de recherche en santé du Canada et moins du quart de ceux subventionnés par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie et le Conseil de recherches en sciences humaines le sont. Les lecteurs doivent donc payer, souvent à prix d’or, pour les consulter. Les organismes subventionnaires canadiens font ainsi piètre figure comparativement aux organismes de même nature aux États-Unis, au Royaume-Uni et ailleurs, la moyenne des articles en libre accès étant les deux tiers environ.

C’est ce qui ressort d’un article publié la semaine dernière par la revue Nature faisant suite à une analyse de 1,3 million d’articles produits par des organismes ayant adopté une politique de libre accès. Les signataires sont Vincent Larivière, professeur à l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information de l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les transformations de la communication savante, et Cassidy R. Sugimoto, professeure de sciences de l’information à l’Université de l’Indiana. «Aux Instituts de recherche en santé du Canada, par exemple, une politique de libre accès existe depuis plus de 10 ans, mais elle n’est pas appliquée de manière optimale; c’est pourquoi on trouve un si grand nombre d’articles échappant à la gratuité», explique le professeur Larivière, qui signe ici son troisième article dans Nature.

Des NIH proactifs

Aux États-Unis, le plus prestigieux bailleur de fonds dans le domaine de la santé exige la preuve que les articles rédigés grâce à ses subventions sont bel et bien en accès libre, sans quoi le financement sera suspendu ou compromis. C’est aussi la politique du Wellcome Trust, un fonds privé européen. «Techniquement, on demande le lien “URL” des articles en libre accès dans le rapport final. C’est une obligation. Il n’y a rien de tel au Canada», poursuit-il.

Vincent Larivière et Cassidy R. Sugimoto montrent également l’importance des archives disciplinaires: aux NIH, les articles doivent être déposés dans PubMed Central, une plateforme créée à cet effet. Cela permet leur diffusion et leur accès à moindre coût, puisque cette forme de libre accès (nommé «libre accès vert») ne comporte pas de frais de publication (autres que le maintien de la plateforme), contrairement au «libre accès doré», où les éditeurs commerciaux exigent des frais de publication (article processing charges) pouvant aller jusqu’à 5000 $

Disparités disciplinaires

Vincent Larivière

Crédit : Amélie Philibert

À l’intérieur même des disciplines scientifiques, les auteurs ont observé d’importantes disparités. Ainsi, en chimie, les travaux financés par les NIH sont à 81 % accessibles gratuitement; seulement 24 % de ceux de la National Science Foundation répondent à ce critère. «Cela démontre bien que les organismes subventionnaires ont une influence directe sur l’accessibilité de la science», commente Vincent Larivière. Même des organisations privées comme la Fondation Bill et Melinda Gates sont conscientes de l’importance de l’accès à la production savante. Elle figure d’ailleurs parmi les organismes les mieux cotés dans l’analyse des deux chercheurs.

Cette étude, espère le professeur de l’Université de Montréal, pourrait faire bouger les responsables canadiens du financement public de la recherche. «Les éditeurs commerciaux se sont emparés des produits de la recherche lorsque la publication numérique a commencé à s’étendre dans le secteur scientifique. Nous voyons avec cette étude que les bailleurs de fonds peuvent redonner accès à cette production au public, qui a déjà payé sa part», conclut-il.

L’article de Nature est accessible (gratuitement) ici: https://www.nature.com/articles/d41586-018-07101-w