Les djihadistes frapperont encore: quelle est la typologie de leur discours?
- Forum
Le 6 novembre 2018
- Mathieu-Robert Sauvé
Un doctorant en criminologie a défini cinq types de discours chez les terroristes islamiques.
Le talonnage antiterroriste en Syrie a beaucoup affaibli le groupe armé État islamique, mais le djihadisme n’est pas mort. «Al-Qaida est encore bien présente en Afrique et au Moyen-Orient et pourrait reprendre de la vigueur sur la scène internationale. D’ailleurs, le chef du mouvement qui a remplacé Oussama ben Laden, Ayman al-Zawahiri, n’a jamais cessé de mener des activités de propagande; je m’explique mal qu’il soit encore libre de le faire, voire encore vivant», déclare le criminologue Maxime Bérubé, qui effectue depuis trois ans des recherches sur le terrorisme islamique dans le cadre de son doctorat à l’Université de Montréal.
Ses études ont porté de façon particulière sur les différents discours du terrorisme islamique en se fondant sur l’analyse de 205 vidéos réalisées par Al-Qaida et l’État islamique entre 2006 et 2016. «La première chose qui m’a frappé lorsque j’ai pris connaissance du contenu de ces vidéos tournées par les organisations terroristes, c’est que le discours s’est beaucoup transformé avec le temps. Nous sommes actuellement dans une tendance que j’appelle “publicitaire” et “identitaire”, mais cela pourrait encore changer dans un avenir prochain», remarque-t-il.
Dans les productions destinées surtout au recrutement, qui durent de quelques secondes à plus de 60 minutes, on trouve très peu d’images de massacres ou de tortures. Il s’agit principalement de convaincre les jeunes de venir rejoindre les rangs des organisations clandestines. «À ma grande surprise, le discours de victimisation est assez peu présent dans ces vidéos, commente Maxime Bérubé. On insiste davantage sur la cause religieuse et le fait que le terrorisme représente une solution stratégique aux problèmes que les djihadistes associent à la population musulmane.»
Cinq discours
La typologie de Maxime Bérubé comporte cinq catégories. Le discours publicitaire «cherche à séduire son interlocuteur en brossant un portrait excessivement favorable du style de vie et de la puissance des djihadistes». Le discours identitaire «repose sur la présentation de récits personnels et de modèles à suivre». Le discours éducatif «s’inscrit dans une volonté de diffusion des connaissances sur l’idéologie djihadiste et ses adversaires». Le discours médiatique présente «des situations ponctuelles sous la forme de bulletins de nouvelles» et se caractérise par le sensationnalisme. Enfin, le discours moralisateur «tente de susciter l’empathie du public» et «met l’accent sur l’infériorité des djihadistes par rapport à leurs adversaires».
Pour bien comprendre le contenu de ces productions, Maxime Bérubé a suivi des cours d’arabe, comme il nous le confiait en 2015 dans une entrevue à Forum. Il trouvait important de plonger dans son sujet de recherche sans préjugés. Il a ainsi lu plusieurs sourates du Coran en arabe, ce qui lui a permis de faire ses propres analyses.
«Je ne parle pas parfaitement l’arabe, mais mes études m’ont permis de mieux comprendre la culture et la religion musulmanes, traversées par de nombreux courants», confie-t-il.
Mieux connaître pour mieux prévenir
Le but de cette recherche est de «comprendre la diversité du discours djihadiste global inspiré d’Al-Qaida et visant spécifiquement un auditoire occidental, mentionne l’auteur dans son sommaire. À ce jour, l’absence de cadre d’analyse systématique sur lequel s’appuyer pour étudier la dimension persuasive des opérations de cadrage des mouvements sociaux constitue un facteur important du manque de connaissances à cet égard».
En plus d’une contribution théorique, sa recherche pourrait aider à prévenir les adhésions, dit-il en entrevue. «Je crois qu’il ne faut pas cesser de chercher les foyers de radicalisation, même si, à Montréal, on est beaucoup moins à risque que dans d’autres villes d’Europe ou des États-Unis. Cela dit, pour lutter contre le djihadisme, il faut bien connaître son discours et ses techniques de mobilisation.»
Le jeune homme originaire de Rimouski estime que la meilleure arme contre la radicalisation, c’est encore l’éducation.