Un démographe remet en question les maisons des aînés du gouvernement

  • Forum
  • Le 16 novembre 2018

  • Mathieu-Robert Sauvé
Les personnes âgées auront besoin de plus de services à domicile que de nouveaux immeubles...

Les personnes âgées auront besoin de plus de services à domicile que de nouveaux immeubles...

Crédit : Getty

En 5 secondes

Jacques Légaré suggère au nouveau gouvernement québécois de concentrer ses énergies ‒ et son budget ‒ sur le soutien à domicile plutôt que principalement sur la construction de maisons des aînés.

«Les besoins futurs en matière de soutien à domicile des personnes âgées sont nettement sous-estimés. On devra accroître fortement les budgets alloués aux soins et services à domicile pour répondre à la demande appréhendée des babyboumeurs vieillissants, qui ne trouveront pas nécessairement de place dans les centres de soins infirmiers ou qui ne désireront tout simplement pas y aller», affirme le démographe Jacques Légaré.

Le professeur émérite de l’Université de Montréal vient de faire paraître dans les Cahiers québécois de démographie, avec Michaël Boissonneault et Yann Décarie, un article[1] qui propose divers scénarios de projections concernant la population canadienne âgée de 65 ans et plus d’ici 2051. Au Canada, rappellent les auteurs, les projections sont basées sur plusieurs hypothèses qui ont, entre autres, comme conséquence une forte augmentation du nombre de résidants dans les établissements de santé. Or, selon ce scénario, ils estiment que ces besoins en hébergement pourraient quadrupler d’ici le prochain quart de siècle. «Étant donné le contexte politique, je ne crois pas qu’un gouvernement quel qu'il soit puisse multiplier par quatre le nombre de lits disponibles dans les établissements publics de santé pour les personnes âgées», indique M. Légaré.

Sans vouloir jeter la pierre à ceux qui ont étudié la question dans le passé, le démographe souligne que les projections populationnelles n’ont pas suffisamment tenu compte de l’évolution de certaines caractéristiques, notamment du fait que de plus en plus de gens âgés souhaitent demeurer chez eux. «Les babyboumeurs constituent une génération particulière; ils s’approchent de l’âge où ils présenteront des problèmes de santé liés au vieillissement et il faut repenser à la façon dont, collectivement, on fera face à ce défi démographique sans précédent», explique-t-il.

Moindre coût

Chose certaine, l’accroissement de la population vieillissante hébergée dans des centres de soins infirmiers comporte un coût qui continuera de croître. Durant la campagne électorale provinciale qui a porté François Legault au pouvoir le 1er octobre dernier, la Coalition Avenir Québec s’est engagée à remplacer les centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) par des maisons des aînés comptant de 70 à 130 lits. La première phase du projet prévoit à elle seule la construction de 30 immeubles au coût de un milliard de dollars.

«Comme le nombre de places disponibles est tributaire de décisions politiques, les tendances passées ne constituent probablement pas une base solide pour une projection de la situation future et nous croyons qu’il est primordial d’envisager différents scénarios», écrivent les auteurs de l’article des Cahiers québécois de démographie.

Cela peut être l’occasion de grossir le budget destiné au soutien à domicile. «Vous savez, il en coûte beaucoup moins cher de laisser les aînés chez eux que de les envoyer dans un CHSLD, fait observer M. Légaré. Mais actuellement, on met trop peu d’efforts et d’argent dans ce secteur.»

Les résultats de la recherche en démographie montrent que les ressources consacrées aux soins et services prodigués à domicile «devront prendre en compte une augmentation possiblement plus importante que prévu du nombre de personnes requérant des soins et des services à domicile».

Choix politique

Jacques Légaré

Crédit : Amélie Philibert

Quel message faut-il envoyer au nouveau gouvernement du Québec et à la ministre responsable des Aînés et des Proches aidants, Marguerite Blais? «Je crois qu’ils doivent revoir le contexte du vieillissement de la population en fonction des besoins et des choix de vie des babyboumeurs», répond Jacques Légaré. L’argent devrait être investi davantage dans les ressources humaines affectées au soutien à domicile que principalement dans les ressources immobilières, laisse-t-il entendre.

En général, note-t-il, les politiciens préfèrent investir dans les infrastructures. Il est politiquement plus marquant d’annoncer une nouvelle construction qu’une hausse des budgets alloués au soutien à domicile… Pas de première pelletée de terre avec le maire de la ville et les députés locaux; pas de photo à la une du journal local.

[1] Michaël Boissonneault, Yann Décarie et Jacques Légaré, «Projection de la population canadienne vivant en institution de santé: le nombre de places pourra-t-il répondre aux besoins des baby-boomers?», Cahiers québécois de démographie, vol. 46, no 2, automne 2017, p. 303-322.