Les pratiques informelles du politique sous la loupe
- Forum
Le 19 novembre 2018
- Martine Letarte
Le Laboratoire international associé ‒ Pratiques informelles du politique a été créé conjointement par des chercheurs de l’Université de Montréal et de l’Université de Lille.
Les pratiques informelles du politique: c’est le grand thème sur lequel se pencheront les chercheurs du Laboratoire international associé (LIA) créé par le Centre de recherche sur les politiques et le développement social (CPDS) de l’Université de Montréal et son partenaire de longue date, le Centre d’études et de recherches administratives politiques et sociales (Ceraps) de l’Université de Lille. Martin Papillon, professeur et chercheur en science politique à l’UdeM et directeur du CPDS, répond à nos questions.
Qu’entendez-vous par «pratiques informelles du politique»?
Les pratiques informelles sont l’angle mort de la science politique. Notre premier réflexe est de porter notre attention sur les institutions, comme le Parlement ou les partis politiques. Mais on remarque actuellement un déclin de l’intérêt pour la politique partisane incarnée par ces acteurs institutionnels. Ce désintérêt est particulièrement marqué chez les jeunes, qui n’en continuent pas moins de s’intéresser à la politique comme en témoignent leur activité sur les médias sociaux ou leur engagement dans le mouvement écologiste. En creusant un peu, on réalise que plusieurs pratiques de la vie quotidienne ont aussi une dimension politique, comme le fait de recycler ou non. Nous essaierons de comprendre comment ces gestes que l’on ne considère pas à priori comme politiques ont en réalité une influence sur le politique. Le deuxième axe de recherche concerne les pratiques informelles dans les processus de gouvernance. Dans toutes les institutions, il y a des rapports de pouvoir informels liés aux réseaux interpersonnels, au statut ou même au genre. Il y a aussi un côté officieux dans l’action publique même. Par exemple dans la marge de discrétion que comporte le travail des fonctionnaires. Nous nous intéresserons aux conséquences, positives et négatives, de ces dynamiques non codifiées sur l’action publique.
Comment allez-vous analyser ces éléments informels?
Ce sera un défi parce qu’évidemment il n’y a pas de banques de données sur ces sujets! Mais une équipe du CPDS dirigée par ma collègue Laurence Bherer a entrepris depuis quelques années un travail de réflexion sur la manière d’appréhender les pratiques informelles, notamment par le biais d’entrevues et d’observations participantes. C’est une démarche plus près de l’anthropologie que de la science politique classique.
Vous travaillez beaucoup sur la question des peuples autochtones. Pourrait-on voir dans le LIA des travaux en ce sens?
Oui. Ce n’est pas un axe de recherche au cœur du projet pour l’instant, mais dans la politique autochtone, il y a une dichotomie entre tout ce qui est officiel (négociation d’ententes, recours aux tribunaux) et les pratiques politiques plus informelles au sein des communautés. Ainsi, on trouve, surtout chez les jeunes, une volonté d’établir des pratiques d’autodétermination qui s’inscrivent en réaction à la lenteur des changements institutionnels. Ces pratiques visent souvent à réaffirmer les identités autochtones, le lien au territoire ou les modes de prise de décision traditionnels. C’est une façon de retrouver une forme de pouvoir sur soi-même en marge des processus politiques établis. C’est un phénomène qu’on pourrait étudier.
Un laboratoire né d’une longue collaboration
La création du Laboratoire international associé ‒ Pratiques informelles du politique s’inscrit dans un long historique de collaboration entre le CPDS de l’UdeM et le Ceraps de l’Université de Lille pour la formation d’étudiants et la réalisation de cotutelles de thèse.
«Nous sommes très heureux que cette collaboration puisse être formalisée dans le cadre de ce projet scientifique commun autour des pratiques informelles du politique», a souligné le 5 novembre au lancement du Laboratoire Frédéric Bouchard, doyen de la Faculté des arts et des sciences de l’UdeM.
Alors que cette initiative est un bel exemple de partenariat que l’UdeM souhaite construire avec la France, le contexte politique mondial actuel, dans lequel on voit une montée du populisme, donne aussi une importance particulière à ce genre de travaux.
Le Laboratoire contribuera ainsi à «faire reconnaître la place éminente de l’informalité dans le fonctionnement du monde politique contemporain», a ajouté Frédéric Bouchard.