«Make China Marxist Again»: la vision du président Xi Jinping pour un marxisme renouvelé

  • Forum
  • Le 20 novembre 2018

  • Martin LaSalle

En 5 secondes

Pour endiguer à la fois le pluralisme et la corruption en Chine, le président Xi Jinping veut unifier le peuple autour d’un marxisme renouvelé, selon le professeur d’histoire David Ownby, de l’UdeM.

Face à un pluralisme grandissant et à la corruption qui pourraient menacer le Parti communiste chinois (PCC) advenant une crise, le président Xi Jinping s’affaire à établir une nouvelle orthodoxie politique qui repose sur une vision structurée autour du concept de «rêve chinois», où confucianisme et marxisme sont habilement imbriqués.

C’est ce que fait ressortir le professeur David Ownby, du Département d’histoire de l’Université de Montréal, dans une analyse intitulée «Make China Marxist Again» qu’il cosigne dans la revue Dissent publiée par les Presses de l’Université de Pennsylvanie.

Spécialiste de l’histoire de la Chine, David Ownby s’intéresse plus particulièrement à l’influence des intellectuels du pays le plus peuplé du monde. Et, dans son analyse, il se penche sur La pensée de Xi Jinping, un essai paru en janvier dernier ‒ et qui a fait grand bruit en Chine ‒ signé par Jiang Shigong, un professeur spécialiste du droit constitutionnel à l’Université de Pékin.

Donner un sens à l’histoire depuis la Révolution culturelle

David Ownby

Crédit : Amélie Philibert

Juriste réputé et respecté, Jiang Shigong offre «une nouvelle périodisation de l'histoire chinoise moderne et contemporaine qui redonne au PCC son rôle central, indique M. Ownby: la Chine “s'est levée” sous Mao Zedong, “s'est enrichie” sous Deng Xiaoping et “devient puissante” sous Xi Jinping».

Pour le professeur d’histoire, cette apologie de la pensée de Xi Jinping poursuit certains objectifs clés.

«Premièrement, Jiang Shigong réfute l’opinion commune selon laquelle l’histoire des 60 premières années de la République populaire de Chine devrait être divisée en 30 années d’échec ‒ le maoïsme ‒ et 30 années de succès, de réformes et d’ouverture, en affirmant que Mao a restauré la souveraineté nécessaire au progrès matériel de la Chine dans un monde globalisé sous Deng Xiaoping […]. Jiang Shigong rend ainsi l’histoire moderne et contemporaine de la Chine complète et continue», écrit-il.

Ensuite, Jiang Shigong associe les «grands hommes» aux grandes réalisations, portant ainsi un coup symbolique au pluralisme et créant un espace pour Xi Jinping, sa pensée et son possible mandat de longue durée. Enfin, il plaide pour la centralité du marxisme après des années d'efforts fatigués pour le sauver.

«Pour Jiang Shigong, les vérités du marxisme ne sont pas intemporelles, mais évoluent avec la société», rapporte M. Ownby. La lutte des classes était appropriée sous Mao compte tenu des conditions sociales de la Chine, mais plus maintenant; la détente idéologique annoncée par «le socialisme à caractéristiques chinoises» sous Deng Xiaoping a fonctionné, car à ce moment-là la Chine avait avant tout besoin de développer sa base matérielle; et, à l'heure actuelle, la Chine est devenue une société «aisée» et le marxisme doit subir des transformations pour s'adapter à l'évolution de l'économie chinoise.

«En accord avec les nouveaux confucéens et les autres conservateurs culturels, Jiang Shigong soutient que le marxisme doit fusionner avec le confucianisme traditionnel et s'inspirer de son esprit de recherche, d'excellence et de perfection, poursuit l’historien de l’UdeM. Cela s’ajoute à la défense de l’unicité de la civilisation et de la culture de la Chine et à la notion selon laquelle la Chine a finalement rendu le socialisme à la fois chinois et contemporain: l’exposé de Jiang Shigong ruse en ce qu’il aborde la critique libérale internationale sans céder le pas aux solutions politiques libérales.»

La «vérité scientifique du marxisme»

En mai dernier, à l’occasion du bicentenaire de Karl Marx, le président chinois enjoignait les membres du PCC à revisiter le Manifeste du parti communiste. Xi Jinping, pour qui Marx est l’un des «plus grands penseurs de l’histoire de l’humanité», déclarait par le fait même sa «ferme croyance dans la vérité scientifique du marxisme».

Pour David Ownby, l’objectif de Xi Jinping est d’«unifier le PCC et le peuple autour d’une idéologie nationale pour faire revivre les meilleures traditions de la gouvernance chinoise et, surtout, redéfinir une cohésion sociale face au pluralisme et à la corruption».

«Le pluralisme n’est pas une valeur que le PCC embrasse, mentionne le professeur. Il y a un vide moral dans la population et la solution de Xi Jinping est le retour vers le marxisme comme valeur fondamentale. C’est politique: même si le PCC se porte bien, le pluralisme est une menace à sa légitimité.»

Par le fait même, le PCC amorce un resserrement autour de la discipline, l’obéissance et l’idéologie, qui sont au cœur de cette représentation nouvelle du marxisme à la chinoise.

«On le fait évoluer et on veut donner l’exemple dans le monde: le stalinisme en URSS a échoué et le néolibéralisme a montré ses limites avec la crise financière de 2008 tandis que la Chine, elle, a continué d’évoluer pour devenir une puissance», dit David Ownby. L’idée est de montrer que le socialisme a été renouvelé et qu’il est toujours pertinent en Chine, et peut-être l’est-il ailleurs dans le monde!»

Une époque difficile pour les intellectuels

Néanmoins, il s’agit là d’une vision qui est élaborée par les hautes instances de l’appareil étatique chinois et qu’on cherche à imposer au peuple.

«Politiquement, les Chinois sont très respectueux et évitent de remettre le modèle en question, mais dans les autres sphères de la vie, ce sont des anarchistes et il y a de la corruption partout!» lance celui qui visite régulièrement la Chine depuis 40 ans.

Jugeant que les resserrements effectués au nom du nouveau marxisme chinois ne s’apparentent pas à du totalitarisme, David Ownby se désole que l’époque soit difficile pour les intellectuels libres.

«Ceux qui rêvaient de briser leurs chaînes devront regarder ailleurs…», conclut-il.


Pour en savoir plus, visiter le blogue Reading the China Dream, dirigé par David Ownby.  

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