De l’humain… à l’humain assisté par l’intelligence artificielle

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  • Le 29 novembre 2018

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Marie Carole Boucher

Marie Carole Boucher

Crédit : Bonesso-Dumas

En 5 secondes

Déjà utilisée en ophtalmologie, l’intelligence artificielle permet des avancées en analyse des images de l’œil qui ouvrent la porte à une nouvelle médecine de précision, selon Marie Carole Boucher.

Par Marie Carole Boucher, professeure agrégée de clinique au Département d’ophtalmologie de la Faculté de médecine

 

C’est en visualisant le fond de l’œil qu’on diagnostique les complications oculaires du diabète (la rétinopathie diabétique) et de la dégénérescence de la macula (la dégénérescence maculaire liée à l’âge). Ces maladies sont les principales causes de cécité dans les pays développés et, selon l’Organisation mondiale de la santé, elles pourraient être évitées dans 80 % des cas.

Des caméras spéciales laissent facilement voir le fond de l’œil et permettent le dépistage, le diagnostic et le suivi de maladies, ce qui pourrait avoir un effet majeur sur la santé visuelle d’une grande partie de la population.

L’intelligence artificielle déjà présente en ophtalmologie

Les algorithmes utilisés en intelligence artificielle (IA) font, depuis longtemps, partie de la pratique quotidienne de l’ophtalmologie. Le diagnostic et le suivi de certaines maladies communes, comme le glaucome, la rétinopathie diabétique, la dégénérescence maculaire, les affections de la cornée et la cataracte, reposent sur des millions de données fournies par des appareils numériques.

L’instrumentation en ophtalmologie se développe de façon marquée et continue, ce qui multiplie ses capacités diagnostiques; des appareils plus rapides, souvent multimodaux s’ajoutent régulièrement. La nécessité de plus en plus grande d’optimiser les systèmes de santé favorise le développement de la télémédecine, dont le rapport coût-efficacité est démontré et qui s’appuie sur l’imagerie. Ainsi le volume et la complexité de l’imagerie diagnostique augmentent plus rapidement que la disponibilité et la capacité de l’expertise humaine pour l’interprétation des images, et celles-ci sont maintenant une importante source d’avancement et d’applications de l’IA.

Les découvertes médicales découlent traditionnellement de l’observation de l’association de différents éléments entre eux. La grande variété des caractéristiques, motifs, couleurs et valeurs des images rend leur étude difficile et nuit à la mise au jour de leurs multiples liens. Les algorithmes qui segmentent et introduisent des paramètres quantitatifs et qualitatifs sont la clé pour trouver des relations insoupçonnées et rechercher des solutions inédites.

Vers une nouvelle médecine de précision

À partir d’une seule image du fond de l’œil, des modèles d’apprentissage profond entraînés à l’aide de beaucoup d’images ont permis de révéler de nouvelles associations et ainsi de déterminer l’âge et le genre du patient, si celui-ci était fumeur ou pas, sa tension artérielle et ses facteurs de risque cardiovasculaires.

L’innovation en analyse des images de l’œil ouvre déjà la porte à une nouvelle médecine de précision: la possibilité de guider et de personnaliser le traitement de la dégénérescence maculaire liée à l’âge en prévoyant la réponse individuelle au traitement tout comme le risque de progression de la maladie légère vers une forme avancée ont été démontrés; on établit maintenant des corrélations entre les couches spécifiques de la rétine atteintes par la maladie et la réponse au traitement.

D’autres algorithmes offriront bientôt un soutien au diagnostic et à la prise de décision en temps réel pour favoriser le dépistage de masse et la prise en charge médicale de la rétinopathie diabétique au moment le plus propice de la maladie; le potentiel théorique d’évaluer jusqu’à 260 millions d’images par jour grâce à un éventuel système automatisé est des plus prometteurs.

Un modèle à adapter au contexte clinique et à la vie réelle

Ces avancées de l’IA en ophtalmologie reposent cependant encore sur des bases de données annotées limitées et non représentatives des populations auxquelles elles sont destinées (génétique, race, prévalence de la maladie, qualité d’imagerie); elles sont de plus évaluées selon différents standards.

Les données actuelles de mesures de performance comparables entre l’humain et les algorithmes d’apprentissage ne sont pas encore adaptées aux contextes clinique et de vie réels. Certains algorithmes pourraient même aller jusqu’à imaginer de nouvelles maladies.

Pour que l’IA puisse donner sa pleine mesure en santé visuelle, il faut encourager et soutenir la constitution de banques de données annotées mises en commun et les valider pour chaque population qui les utilisera.

L’accès à des dossiers informatisés experts, intelligents, adaptés à la recherche est un besoin non encore comblé. Le temps nécessaire pour introduire avec prudence des systèmes d’analyse prometteurs mais complexes dans des organisations de santé tout aussi complexes est un prérequis à leur aboutissement.

De nouveaux horizons grâce aux collaborations interdisciplinaires

L’IA révolutionne déjà l’ophtalmologie et aura très bientôt une influence encore plus significative sur presque toutes les maladies de l’œil. Cette influence ira en s’accentuant, de nouvelles technologies permettant de nouvelles mesures toujours plus précises de l’œil.

Les collaborations interdisciplinaires engendrées par ces données cliniques combinées avec l’expertise en IA ouvrent de nouveaux horizons en recherche sur l’œil et la vision et leur donnent une toute nouvelle envergure. Le modèle traditionnel de soins visuels sera bientôt dépassé: de l’humain… à l’humain assisté par l’IA.