Intelligence artificielle: un potentiel immense pour l’éducation
- Forum
Le 29 novembre 2018
- UdeMNouvelles
L’IA est bien présente en éducation et le professeur Thierry Karsenti explique que la formation à distance est un domaine qui pourrait en profiter le plus.
Par Thierry Karsenti, professeur au département de psychopédagogie et d'andragogie
En 2018, impossible de rester sourd aux transformations sociétales et aux nouvelles avenues que le numérique offre aux milieux d’enseignement. Impossible également de rester indifférent à la place que l’intelligence artificielle prend dans tous les secteurs de notre société, y compris l’éducation. Car l’IA y est bien présente, notamment par le truchement des applications sur les téléphones intelligents ou celui des moteurs de recherche que les apprenants et les formateurs utilisent de façon quotidienne, sans pour autant toujours avoir un regard critique sur ces usages.
La formation à distance
En dressant une synthèse des 26 principaux points positifs de l’arrivée de l’intelligence artificielle en éducation, on constate que la formation à distance pourrait en tirer profit. Ce type de formation table sur la mobilité des apprenants, qui accèdent au contenu des cours à l’aide d’appareils mobiles – téléphones, tablettes ou ordinateurs portables. Ceux-ci représentent d’ailleurs près de 90 % des connexions à Internet.
Pour cette raison, plusieurs chercheurs affirment que l’apprentissage mobile (mobile learning), une forme de formation à distance, est une avenue parmi les plus importantes de l’éducation. C’est possiblement l’une des raisons qui a incité le recteur de l’Université de Montréal, Guy Breton, à souhaiter que chaque étudiant de l’UdeM puisse suivre au moins un cours à distance pour obtenir son diplôme.
Apprentissage adaptatif: l’exemple du projet UTIFEN
Dans le cadre du projet UTIFEN (Usage des technologies de l’information pour la formation des enseignants au Niger), réalisé en Afrique auprès de plus de 20 000 enseignants, nous avons conçu une plateforme de formation à distance pour téléphones intelligents qui a recours à l’intelligence artificielle. Son potentiel pourrait être particulièrement intéressant pour les étudiants d’université, voire les élèves du secondaire ou des cégeps.
Cette plateforme fait appel à l’apprentissage adaptatif ou automatique, rendu possible grâce à l’intelligence artificielle. Celle-ci permet, entre autres, d’adapter facilement et de façon dynamique et évolutive les parcours d’apprentissage en fonction des besoins et caractéristiques des apprenants.
Le système peut non seulement varier le contenu sur le plan de la difficulté, mais il peut aussi en ajouter ou en retirer. Le concept est simple: les parcours d’apprentissage évoluent constamment selon d’une part les réponses fournies par chaque apprenant et d’autre part l’ensemble des apprenants.
Pourquoi parler de l’ensemble des apprenants? Parce que la plateforme ne considère pas uniquement les réponses d’une personne pour apprendre et s’adapter. Elle considère également les réponses de l’ensemble des apprenants. Le lien avec l’intelligence artificielle est important. Les écosystèmes qui recueillent un grand nombre de données permettent aux systèmes comme UTIFEN de les exploiter. Avec ses 20 000 apprenants, ce sont plus de 20 millions de données (ou d’actions) qui sont utilisées par la plateforme UTIFEN pour créer des modèles afin de mieux comprendre le parcours des apprenants qui réussissent et celui des apprenants qui ne réussissent pas.
Le recours à l’intelligence artificielle permet ainsi à la plateforme d’apprendre à partir de ces modèles pour pouvoir accroître son efficacité en vue d’assurer la réussite du plus grand nombre de personnes. Cet aspect de l’intelligence artificielle permet de produire des connaissances de façon automatique en traitant les données recueillies. Avec les connaissances acquises par le système UTIFEN, il lui est alors possible de créer un modèle pour prendre des décisions. Par exemple, le système UTIFEN conçoit, à partir des parcours de réussite et d’échec des apprenants, un modèle d’intervention «idéal», qui vise la réussite. Cet «apprentissage» permet donc à la plateforme d’envoyer de façon automatique, autonome et individualisée des rappels à des moments opportuns aux apprenants pour accroître leurs chances de réussite. UTIFEN peut donc, d’une certaine façon, apprendre, sans avoir été préalablement programmé.
Menace ou bienfait?
Plusieurs experts considèrent que l'IA représente un danger si la société ne pose pas de limites aux machines intelligentes et à leurs usages. Mais pour poser des limites, il faut aussi comprendre ce dont il est question. Son introduction en éducation, comme c’est le cas pour la plateforme UTIFEN, pourrait nous aider à mieux comprendre son potentiel pour la réussite éducative des apprenants.
Au lieu de considérer l’intelligence artificielle en éducation comme la panacée ou le Saint-Graal, il faut plutôt la voir comme un outil à grand potentiel qu’il faut savoir exploiter sur le plan pédagogique. L’un des défis auquel fait face notre système d’éducation confronté à l’arrivée de l’IA est de trouver un juste équilibre entre le maintien de certains aspects traditionnels qui ont fait la richesse de l’enseignement depuis des siècles et la mise à profit des nouvelles possibilités qu’offre l’IA en éducation.
Pour ce faire, il ne faut pas se limiter à la seule vision utilitaire de l’intelligence artificielle, mais bien cerner les transformations éducatives qu’elle pourrait alimenter. C’est, modestement, ce que tente de faire le projet UTIFEN, qui forme des enseignants en ayant recours à l’IA dans un des pays les plus pauvres et où le taux de pénétration des technologies est également le plus faible. Ainsi, l’intelligence artificielle ne sert pas uniquement à participer à la réussite scolaire des apprenants, elle peut aussi nous aider à mieux nous comprendre et nous respecter.