Des épidémies mortelles frappaient le Québec ancien tous les sept ans
- Forum
Le 12 décembre 2018
- Martine Letarte
Des cycles épidémiques mortels ont eu lieu au Québec entre 1740 et 1799, d’après une récente étude à laquelle a collaboré le professeur Alain Gagnon.
Un cycle épidémique de sept ans a été découvert au Québec dans la deuxième moitié du 18e siècle par Alain Gagnon, professeur au Département de démographie de l’Université de Montréal. Avec ses collègues, dont Tim Bruckner, de l’Université de Californie à Irvine, il a aussi étudié les répercussions sur la mortalité de variables environnementales comme la température et le manque de précipitations. Les chercheurs ont constaté qu’elles jouaient un rôle seulement durant les années sans épidémie marquante. L’article a été publié en septembre dans l’American Journal of Human Biology.
En analysant la mortalité au Québec entre 1680 et 1799, Alain Gagnon a d’abord remarqué un fait intrigant à propos d’épidémies bien connues de variole, maladie très contagieuse qui a frappé les premiers colons du Québec en 1703, puis en 1733.
«Trente ans séparent les deux épidémies et l’on observe que l’augmentation de la mortalité pendant l’épidémie de 1733 ne concerne que les moins de 30 ans; ceux plus âgés auraient acquis une immunité au virus après y avoir été exposés en 1703», explique Alain Gagnon.
«La taille et la densité de la population étaient encore trop faibles pour qu’un cycle se mette en place», ajoute-t-il.
Or, tout a changé après 1740.
«Plus il y a de naissances, plus on arrive à constituer un réservoir de personnes non immunisées, donc susceptibles d’être infectées, dit le chercheur. C’est ainsi que les épidémies se créent et reviennent rapidement. Après 1740 et jusqu’à la fin du siècle, on a vu un cycle de sept ans s’installer très clairement.»
Ce n’est pas le fruit du hasard.
«Ce cycle s’explique par la taille de la population à l’époque et sa densité, indique Alain Gagnon. En Europe, où la population était plus grande et plus dense, les cycles étaient plus courts avec des épidémies qui revenaient plutôt tous les cinq ou six ans.»
La variole, probable cause
Quelle maladie infectieuse explique le cycle? Les chercheurs n’ont pas la preuve que la variole a frappé à chacune des pointes épidémiques. Ils ont pris leurs données dans les registres paroissiaux, qui ne mentionnaient que très rarement la cause des décès.
«Les prêtres écrivaient la cause seulement lorsqu’elle était spectaculaire, mais il était très commun de voir des enfants mourir dans les périodes d’épidémie, relate le démographe. Vers 1750, soit un peu avant la Conquête, plus de la moitié des enfants nés à Montréal mouraient avant d’atteindre un an.»
Par contre, les chercheurs ont retrouvé dans des documents anciens des mentions que la variole avait été particulièrement violente certaines années. «Elles correspondent aux années où le nombre de morts montait en flèche», précise Alain Gagnon.
La variole faisait à ce moment-là énormément de ravages en Europe et au Québec. Elle a été déclarée éradiquée en 1980 par l’Organisation mondiale de la santé, à la suite d’une campagne de vaccination à l’échelle de la planète.
Des pressions environnementales
Les chercheurs se sont aussi demandé si les conditions environnementales influaient sur la mortalité des enfants de moins de sept ans. Ils ont donc regardé notamment les données sur la température de l’époque et le manque de précipitations.
«On a vu que les variables environnementales, qui ont pu être associées à des carences alimentaires, avaient un effet sur le taux de mortalité des enfants de moins de sept ans, signale Alain Gagnon. Par contre, cette corrélation était visible seulement les années où il n’y avait pas de pointe épidémique. C’est probablement parce que la variole frappait tout le monde, les riches comme les pauvres.»
Si les chercheurs ont pu faire ces analyses, c’est grâce à une base de données qui permet de reconstituer la population québécoise du début de la colonie jusqu’en 1799. Cette base a été mise sur pied par le Programme de recherche en démographie historique de l’Université de Montréal, dirigé par Lisa Dillon, qui a également collaboré à l’article.
Avec la récente Infrastructure intégrée des microdonnées historiques de la population québécoise, fruit des efforts de chercheurs de l’Université du Québec à Chicoutimi (initiateurs du projet), de l’UdeM, de l’Université du Québec à Trois-Rivières et de l’Université Laval, il est maintenant possible de poursuivre les analyses jusqu’en 1850.
«Pendant ces années, la population a continué de croître de manière exponentielle au Québec, avec ses familles nombreuses, conclut Alain Gagnon. Je suis curieux de voir si le cycle d’épidémie s’est raccourci pour ressembler à ce qu’on trouvait alors en Europe. On poursuivra donc notre travail.»