Pour une parité des genres devant et derrière la caméra
- Forum
Le 12 décembre 2018
- Suzanne Dansereau
Deux chercheuses du CRIMT lancent une initiative internationale pour rendre plus égalitaire l’accès aux postes clés et réduire les écarts de rémunération dans l’industrie de l’audiovisuel.
Le problème du sexisme dans l’industrie de l’audiovisuel est passé à l’avant-plan depuis l’éclatement de l’affaire Harvey Weinstein, qui a donné naissance au mouvement #MeToo (#MoiAussi au Québec). Mouvement qui a été marqué par l’inédite montée des marches de 82 femmes au dernier Festival de Cannes.
Mais changer les choses dans le septième art et sur nos petits écrans n’est pas aussi simple qu’on le pense. «Les différentes mesures mises en place depuis une dizaine d’années un peu partout dans le monde ont permis de faire des progrès, mais les écarts demeurent, que ce soit sur le plan de la rémunération ou sur celui de l’accès aux postes clés de l’industrie», indique Émilie Genin, professeure à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal.
«On s’approche de la parité hommes-femmes dans des films à petits budgets, comme les documentaires, précise-t-elle, mais les fictions à gros budget sont encore largement dominées par des hommes. Ce sont eux qui occupent les postes les plus créatifs, comme ceux de réalisateurs, scénaristes et producteurs.»
Grâce au soutien du Centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le travail (CRIMT) et du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, Mme Genin et la professeure invitée Amanda Coles travaillent sur une initiative expérimentale, unique en son genre, dans le but de définir des politiques donnant de meilleurs résultats.
Réflexion avec l’industrie
Pendant deux jours, Émilie Genin et Amanda Coles ont rassemblé dans une même salle des professionnels de l’audiovisuel (producteurs, diffuseurs, syndicats), des bailleurs de fonds et des universitaires d’une dizaine de pays afin de trouver des solutions concrètes à des problèmes bien connus.
Pour chaque enjeu ciblé, on a créé un groupe de réflexion composé de représentants du milieu et des bailleurs de fonds ainsi que de chercheurs. Les groupes avaient de plus accès à des conseillers, incluant des décideurs de l’industrie.
Jamais tant de décideurs n’avaient été réunis avec des universitaires pour travailler de cette façon sur la parité hommes-femmes. «Nous voulions que des chercheurs aient plus d’influence auprès de l’industrie», explique Mme Genin.
«Et que les décideurs de l’industrie puissent s’exprimer en dehors de leurs cadres institutionnels sur des sujets délicats, ajoute Mme Coles. Le dialogue et les interactions nous ont certainement permis d’aller plus loin.»
Quelques constats
Tout d’abord, les quotas, qui ne font pas l’unanimité; l’industrie de l’audiovisuel craint notamment qu’ils créent un effet de ressac.
On sait aussi que le problème du manque d’accès à des postes clés n’est pas lié au manque de femmes dans l’industrie. Il y a presque autant de femmes que d’hommes dans les écoles de cinéma et elles peuvent parfois bénéficier de mesures incitatives et de programmes de mentorat. Mais cela ne se reflète pas sur leur présence dans les réseaux où les décisions se prennent. Les femmes n’arrivent donc pas à percer les réseaux dominés par les hommes. Conséquemment, elles ne sont pas recrutées à des postes de haut niveau.
L’industrie fonctionne par projets et, afin de réduire le risque, les producteurs, diffuseurs ou investisseurs préfèrent recruter les mêmes scénaristes ou réalisateurs qui ont fait leurs preuves dans un projet précédent. Ces derniers sont généralement des hommes. «La racine du problème est là», conclut Mme Coles.
«Et c’est encore pire pour les femmes issues de minorités visibles, mentionne Mme Genin. Les décideurs se sont aussi penchés sur le manque de diversité dans l’industrie, mais à ce sujet les données manquent.»
Un ensemble de solutions
Une douzaine de pays d’Europe ‒ en plus du Canada et de l’Australie ‒ étaient représentés au colloque tenu en novembre. Les chercheuses analysent maintenant les données et dresseront une liste de solutions applicables. «Il n’y aura pas une solution, mais une palette de solutions», prévoit Mme Genin.
Aux yeux d’Amanda Coles, spécialisée en incitations fiscales, une partie de la solution réside dans la conception d’outils financiers s’adressant aux investisseurs privés.