Québec réformera le droit de la famille: «Enfin!» lance Alain Roy

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  • Le 17 décembre 2018

  • Mathieu-Robert Sauvé
Alain Roy se réjouit de voir l'État s'engager à réformer le droit de la famille.

Alain Roy se réjouit de voir l'État s'engager à réformer le droit de la famille.

Crédit : Amélie Philibert

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Le professeur Alain Roy est satisfait de voir le gouvernement du Québec s’engager à réformer le droit de la famille, un sujet qui l’occupe depuis plusieurs années.

En annonçant une réforme du droit de la famille d’ici la fin du premier mandat du gouvernement Legault, la ministre de la Justice, Sonia Lebel, s’attaque à un ensemble de lois dont la modernisation est réclamée depuis plusieurs années. Dès 2013, Alain Roy, professeur à la Faculté de droit de l’Université de Montréal, a présidé le Comité consultatif sur le droit de la famille, qui a déposé son rapport le 5 juin 2015. Les 10 experts réclamaient une réforme en profondeur des lois relatives à la famille. «La dernière réforme date de 1980, nous expliquait Me Roy à cette occasion. La procréation assistée, la maternité de substitution et les familles recomposées étaient alors peu courantes. Ce sont des questions très présentes aujourd’hui. D’autres, comme le phénomène des parents de même sexe, ont pris de l’importance. Au Québec, nous détenons le championnat continental de l’union de fait et le mariage constitue pourtant, encore, la porte d’entrée du droit de la famille en matière conjugale.»

Après avoir vu le gouvernement libéral faire la sourde oreille aux recommandations de ce comité, le professeur Roy a multiplié les initiatives pour placer la réforme du droit de la famille au centre des enjeux de la dernière campagne électorale. Il répond à nos questions.

Quelle a été votre réaction à l’annonce de la ministre Lebel, le 11 décembre?

J’étais très heureux, évidemment. C’est une petite victoire pour tous ceux qui souhaitaient une modernisation du droit de la famille. En même temps, je ne crois pas que le gouvernement pouvait faire l’économie de cet engagement. Après les travaux du comité d’experts en 2015, j’ai coprésidé l’an dernier une consultation dans six grandes villes du Québec. Plus de 150 personnes et organismes nous ont mentionné très clairement la nécessité de moderniser le système. Pour maximiser la visibilité de la consultation et éviter que le dossier soit mis sur une tablette, j’ai demandé à huit anciens ministres de la Justice, de la Famille ou de la Condition féminine [Marc-André Bédard, Monique Gagnon-Tremblay, Herbert Marx, Louise Harel, Serge Ménard, Paul Bégin, Linda Goupil et Nicole Léger] de plaider pour la réforme. Le Manifeste en faveur d’une réforme globale du droit de la famille, qu’ils ont lancé en novembre, a contribué à remettre l’idée de la réforme à l’avant-scène. Sonia Lebel s’était elle-même engagée de manière assez claire.

Le gouvernement annonce, en réalité, des consultations publiques devant mener à la réforme. Ne croyez-vous pas qu’il vaudrait mieux passer aux actes?

Il est légitime pour un gouvernement de vouloir mener ses propres études. J’ai confiance en la parole de la ministre quand elle dit que la réforme se fera à l’intérieur du premier mandat. Les consultations devraient donc ne pas s’éterniser.

Cela dit, si ces audiences publiques conduisent à des conclusions différentes des nôtres, je ne serai pas du tout offusqué. Nous croyons avoir travaillé convenablement sur cette question et souligné certaines réalités. Nous avons mis la table. Peut-être faut-il déplacer un verre à gauche ou à droite ou ajouter un ustensile ou deux… C’est une prérogative qui appartient évidemment au gouvernement.

Qu’est-ce qui est le plus urgent dans la réforme du droit de la famille?

Il faut sans tarder placer l’enfant au centre des lois. Actuellement, c’est encore le mariage qui est la pierre angulaire du droit conjugal. Une aberration quand on sait que 62 % des enfants naissent hors mariage au Québec. Je crois que cela s’explique en partie par un certain attachement aux traditions.

En concentrant notre cadre légal sur l’enfant, on met en place un système qui s’ouvre aux nouvelles réalités sociales. Par exemple, la parenté multiple n’est pas permise ici alors qu’en Ontario un enfant peut avoir jusqu’à quatre parents légaux. Il ne s’agit pas simplement d’homoparentalité, qui est reconnue depuis 2002, mais de s’adapter à des réalités nouvelles. Je ne dis pas que c’est la solution qu’on doit nécessairement retenir chez nous, mais je pense que la question mérite d’être soulevée et analysée sur le fond.

Un cas intéressant est actuellement devant les tribunaux. Il s’agit d’un homme qui a fait un don de sperme à un couple d’amies lesbiennes dans le cadre d’un projet parental dont il était partie prenante. Mais quelques années après la naissance, les mères ont voulu couper les liens avec le père. Celui-ci a exigé d’être reconnu comme tel afin de pouvoir continuer à voir l’enfant. Le juge a tranché en sa faveur, mais en supprimant le droit à la maternité d’une des mères, la loi québécoise limite le nombre de parents à deux. Puisque la réalité de l’enfant en question, ce sont trois parents et non deux, il y a lieu de voir si le droit pourrait ou devrait y faire écho. 

Vos recommandations sur les mères porteuses ont beaucoup retenu l’attention. Cette pratique doit-elle être légalisée?

Il ne s’agit pas d’être pour ou contre la maternité de substitution. Nous avons constaté que c’était une réalité, qu’on le veuille ou non. Il y a chez nous, actuellement, des gens qui retiennent les services d’une femme, ici ou à l’étranger, pour qu’elle porte leur enfant. Le droit doit encadrer cette pratique. Encore une fois, l’enfant doit être au centre de nos préoccupations. Nous devons éviter d’en faire le produit d’une transaction et de le transformer en enfant illégitime. Il a droit à ses parents. Par ailleurs, la femme qui conclut une entente avec des tiers, de son côté, doit être protégée. Elle devrait pouvoir garder son enfant si elle change d’idée.

Êtes-vous appelé à jouer un rôle dans la réforme annoncée?

On ne m’a pas contacté à ce sujet, mais je serais heureux d’y contribuer. Je crois qu’il est de notre devoir, comme universitaires, de participer aux débats de la société.

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