À quand l’aide médicale à mourir pour les personnes atteintes d’un trouble mental?

  • Forum
  • Le 11 janvier 2019

  • Martin LaSalle
Selon le professeur Serge Larivée, le Canada devrait s’inspirer de la Belgique et des Pays-Bas pour élargir l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes d’un trouble mental chronique et incurable.

Selon le professeur Serge Larivée, le Canada devrait s’inspirer de la Belgique et des Pays-Bas pour élargir l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes d’un trouble mental chronique et incurable.

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Les personnes atteintes d’un trouble mental, comme une dépression réfractaire au traitement, devraient avoir accès à l’aide médicale à mourir si tel est leur souhait, selon des chercheurs de l’UdeM.

«Prévenir le suicide chez les personnes aux prises avec un trouble mental persistant et réfractaire au traitement est une obligation éthique. Et leur donner accès à l’aide médicale à mourir constitue aussi une obligation éthique.»

C’est ce que soutiennent Gabrielle Provencher-Renaud et le professeur Serge Larivée, de l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal, ainsi que Carole Sénéchal, de la Faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa, dans une analyse publiée récemment dans la revue Annales médico-psychologiques.

À la lumière de l’historique de la légalisation de l’aide médicale à mourir au Canada ainsi qu’en Belgique et aux Pays-Bas, les auteurs traitent de son élargissement aux individus atteints d’un trouble mental en abordant le délicat sujet du suicide, qui demeure la seule option quand certains veulent arrêter de souffrir.

«En refusant aux gens qui ont un trouble mental l’aide médicale à mourir, les lois canadienne et québécoise soulèvent un débat autour de la dignité de la personne, opposant le caractère sacré de la vie au droit d’être libre de faire ses propres choix», estiment les auteurs.

Trois critères de rationalité du suicide

Serge Larivée

Dans ce débat, une question surgit: le trouble mental rend-il l’individu inapte à décider de vouloir mourir?

«De façon générale, les idées suicidaires sont perçues comme un symptôme de trouble mental plutôt que le résultat d’une réflexion intellectuelle, indique Gabrielle Provencher-Renaud. Or, certains suicides peuvent être considérés comme rationnels lorsque la qualité de vie des défunts était gravement altérée et qu’ils éprouvaient de grandes souffrances.»

À la lumière de la littérature scientifique, les auteurs ont désigné trois critères permettant de qualifier de rationnels ou non le suicide d’une personne atteinte d’un trouble mental ou les idées suicidaires:

  • la personne doit pouvoir évaluer sa situation de façon réaliste;
  • sa réflexion ne doit pas être compromise par un trouble mental ou une détresse émotionnelle grave (par exemple la psychose);
  • la motivation menant à la décision doit être comprise par la majorité des membres de son entourage.

Selon le professeur Larivée, il importe toutefois de distinguer ceux dont les idées suicidaires découlent de leur trouble mental et dont la qualité de vie pourrait être améliorée par un traitement adéquat, et ceux dont la souffrance est attribuable à un trouble mental qui ne peut pas être traité d’une façon acceptable à leurs yeux. «Dans cette perspective, seuls ces derniers devraient être admissibles à l’aide médicale à mourir», mentionne-t-il.

Lorsqu’il n’est plus éthique d’entretenir l’espoir

Aux Pays-Bas, le suicide assisté et l’euthanasie volontaire ont été légalisés en 2002 et ils sont accessibles aux individus qui souffrent d’un trouble mental. La Belgique a fait de même au cours de cette année-là, mais seulement en ce qui a trait à l’euthanasie volontaire.

Dans ces deux pays, les demandes d’aide médicale à mourir sont balisées: la demande doit être faite de façon volontaire et le patient doit être jugé apte à prendre cette décision. L’évaluation de la demande, qui s’étend sur une période minimale d’un mois, comprend la revue du dossier médical et des consultations avec un médecin, ainsi qu’une évaluation psychiatrique complète lorsque la mort n’est pas prévue à court terme.

Selon Serge Larivée, le Canada devrait s’inspirer de ces deux exemples pour élargir l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes d’un trouble mental chronique et incurable.

«Dans certains cas, l’état dépressif peut être présent depuis de nombreuses années, sans que les interventions – médicaments, psychothérapie et autres – aient atténué les symptômes, illustre-t-il. Lorsque la dépression est réfractaire au traitement, on ne peut éthiquement opposer au patient qu’un jour, peut-être, un traitement aura un effet positif; entretenir illusoirement l’espoir du patient devient inacceptable, voire immoral.»

«Refuser l’aide médicale à mourir à ces individus non seulement restreint leur liberté de choix, mais leur fait vivre une souffrance supplémentaire, conduisant certains d’entre eux au suicide – ce qui implique le risque que leur tentative échoue et qu’ils se retrouvent dans une situation pire qu’à l’origine, par exemple avec des séquelles physiques», renchérit Gabrielle Provencher-Renaud.

Quatre conditions à l’euthanasie pour les troubles mentaux

Actuellement, les critères d’acceptation de l’aide médicale à mourir supposent que la mort naturelle est raisonnablement prévisible (loi canadienne) ou que le patient est en fin de vie (loi québécoise).

Pour les auteurs, il faudrait intégrer quatre conditions afin de rendre acceptable l’accès à l’aide médicale à mourir pour les personnes qui souffrent d’un trouble mental.

  • Cibler les troubles mentaux réfractaires au traitement: seraient exclus les individus qui auraient refusé un traitement sans raison valable, comme c’est le cas aux Pays-Bas.
  • Augmenter à un mois le délai minimal pour le traitement de la demande d’aide médicale à mourir sur la base d’un trouble mental: la loi québécoise prévoit une période de 10 jours pour toute demande; le délai d’un mois permettrait une meilleure évaluation, par des professionnels, de la demande effectuée par une personne atteinte d’un trouble mental.
  • Soumettre de manière systématique le demandeur de l’aide médicale à mourir à une évaluation par un spécialiste de la santé mentale, comme cela se fait en Belgique.
  • Favoriser le concours des proches dans le processus de demande et d’évaluation de l’aide médicale à mourir: leur participation serait utile lors de l’évaluation psychologique en tant que sources extérieures d’information. De même, cet engagement faciliterait leur processus de deuil, le cas échéant.

Selon Mme Provencher-Renaud et M. Larivée, l’accès à l’aide médicale à mourir pour les personnes atteintes d’une maladie mentale incurable permettrait à celles qui désirent mettre fin à leurs souffrances d’avoir une option plus digne que le suicide.

«L’aide médicale à mourir permet à la personne et à ses proches d’avoir le temps de se dire au revoir, concluent-ils. Elle permet également d’éviter aux proches un deuil complexe, caractérisé par un sentiment de culpabilité et une recherche de sens au geste suicidaire, ce qui peut entraîner des séquelles psychologiques.»

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