La Dre Carabin mène l’attaque contre les zoonoses
- Forum
Le 18 janvier 2019
- Mathieu-Robert Sauvé
La vétérinaire Hélène Carabin mène plusieurs recherches internationales sur les zoonoses.
Justin Windiga vend des porcs errants à des villageois du Burkina Faso aux prises avec un problème endémique: l’épilepsie. Lorsqu’un infirmier et un vétérinaire viennent conseiller à la population de confiner les porcs dans des enclos et de construire des latrines pour éviter que les déjections humaines ruissellent dans l’environnement, ils font face à beaucoup de résistance. Mais les femmes du village entendent raison et forcent leurs maris à appliquer les nouvelles consignes.
C’est le scénario d’un film de 52 minutes intitulé La colère des génies, signé Missa Hébié et qui peut être visionné sur le site de la publication britannique The Lancet Global Health. Projeté dans plus de 58 villages burkinabés, le film a servi de point de départ à des discussions avec la population menées par une équipe de chercheurs sous la direction de la Dre Hélène Carabin, professeure à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal. «Les maladies humaines causées par la mauvaise hygiène sont connues depuis longtemps en Afrique et en Asie et le lien avec les maladies chez les porcs est parfois suspecté. Mais les campagnes de prévention sont rares et peu efficaces, mentionne-t-elle. Nous avons tenté une approche participative et les résultats ont été très positifs.»
L’«Évaluation du fardeau économique de la cysticercose au Burkina Faso», dont les résultats ont été publiés en avril 2018 dans The Lancet Global Health, conclut que «l’intervention tend à réduire la cysticercose active». Dans deux provinces, le Nayala et le Sanguié, les résultats ont été encourageants, alors que dans la province du Boulkiemdé, elle n’a pas vraiment fonctionné, ce qui pourrait s’expliquer par une organisation sociale plus hiérarchique, limitant l’influence des intervenants extérieurs.
Une zoonose mésestimée
Le ver adulte Taenia solium vit dans l’intestin des humains infectés par ce parasite en mangeant du porc mal cuit. L’humain infecté excrète les œufs du ver dans ses selles. Ingérés de nouveau dans les aliments contaminés ou l’eau de consommation, ces œufs microscopiques peuvent alors se loger dans le cerveau et provoquer une maladie nommée neurocysticercose. La chercheuse montre une image de cerveau constellé de petits points. Ces anomalies entraînent des problèmes neurologiques pas toujours réversibles – lorsque la maladie est traitée à temps et qu’il n’y a pas trop de lésions, la personne peut guérir. «C’est l’une des causes majeures d’épilepsie secondaire dans les pays en développement où l’on consomme du porc», résume la chercheuse, qui a obtenu son diplôme de médecine vétérinaire de l’UdeM avant d’aller se spécialiser en épidémiologie à l’Université McGill, puis à l’Université d’Oxford et à Londres.
À cause du manque de mesures d’assainissement, les œufs du parasite se disséminent chez l’humain et le porc par la contamination de l’environnement, de l’alimentation, de l’eau et des eaux de ruissellement. Un cas d’épilepsie sur trois en résulterait et, dans plusieurs communautés africaines, les épileptiques sont très souvent ostracisés, cachés ou rejetés. On les croit contagieux et possédés des esprits maléfiques.
L’enquête dirigée par l’épidémiologiste québécoise était la première grande étude randomisée sur cette maladie en Afrique subsaharienne avec plus de 3500 sujets de recherche dont la moitié de témoins. Les participants ont été rencontrés trois fois et ont accepté de donner des échantillons sanguins en plus de répondre à des questionnaires.
La Dre Carabin a entrepris cette étude alors qu’elle était professeure au centre de recherche sur la santé de l’Université de l’Oklahoma. Financée par les National Institutes of Health américains, l’étude comptait 17 investigateurs et collaborateurs des États-Unis mais aussi de Tanzanie, de Belgique, de France et, bien sûr, du Burkina Faso.
Chef de file
Cette étude démontre bien l’ampleur des travaux de cette chef de file mondiale des zoonoses que la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal vient d’embaucher dans son département de pathologie et microbiologie. La Dre Carabin a conduit plusieurs autres projets, notamment en Asie. Aux Philippines, un ver plat serait responsable d’une grave infection du foie dans la population, la fibrose hépatique. Ici encore, une cinquantaine de villages ont été la cible des chercheurs qui devaient d’abord déterminer laquelle des espèces animales vivant près des communautés (le rat, le zébu, le chien, le porc, le chat) était le vecteur principal de transmission.
Cette étude elle-même faisait suite à une enquête effectuée en Tanzanie au début des années 2000 sous l’égide du ministère des Affaires étrangères du Danemark. L’étude randomisée dans 42 villages portait sur la cysticercose. D’autres travaux sont en cours en Inde, en Tanzanie, au Mozambique et en Zambie.
Pour la Dre Carabin, dont l’essentiel des recherches se déroule actuellement en Inde, c’est un retour au Québec après plus de 16 ans dans le sud des États-Unis. C’est là qu’elle s’est mariée et qu’elle a donné naissance à son fils aujourd’hui âgé de 11 ans. «Je suis très heureuse de revenir au pays. Les conditions de travail en Oklahoma sont excellentes, mais nous étions un peu mal à l’aise avec la philosophie de Donald Trump», confie-t-elle. Elle donne l’exemple des armes, qu’on voit partout dans l’État. Elle note que l’intérêt pour son expertise, l’étude des zoonoses dans un contexte global, est très marqué dans les milieux universitaires québécois et canadien. Elle a fait sien le slogan de la faculté, Pour la santé du monde, qui correspond tout à fait à ses champs d’intérêt en recherche.
Pour cette experte née à Verdun qui a grandi à Outremont, c’est un retour au pays bien agréable, mais la réalité est plus brutale pour son conjoint australien, professeur de physique, qui espère trouver un poste bientôt.
Quant à son patronyme d’origine française, elle trouve cocasse d’apprendre qu’il désigne les équipes de sport d’excellence de l’UdeM. «C’est drôle, je vais pouvoir me procurer des objets à mon nom en allant aux matchs», lance-t-elle.