La science se féminise

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  • Le 8 février 2019

  • Mathieu-Robert Sauvé
Crédit : Getty

En 5 secondes

Avec des collègues, Vincent Larivière publie dans «The Lancet» une étude qui souligne l’importance de tenir compte des femmes à tous les échelons de la production scientifique.

Entre 1980 et 2016, le nombre d’articles scientifiques tenant compte des deux sexes dans la méthodologie a considérablement augmenté, passant de 59 % à 67 % en médecine clinique et de 36 % à 69 % en santé publique. Mais pour la recherche biomédicale, la variable liée au sexe reste largement sous-représentée avec moins du tiers des articles (31 %). Lorsque des femmes sont auteures, la question du sexe est beaucoup plus souvent prise en considération.

Voilà ce qui ressort de l’article «Factors affecting sex-related reporting in medical research: A cross-disciplinary bibliometric analysis», qui paraît cette semaine dans The Lancet (vol. 393, p. 550–559) et qui est signé par une équipe de spécialistes de la bibliométrie, dont Vincent Larivière, de l’Université de Montréal. «Le fait que les deux sexes sont généralement considérés est en soi une bonne nouvelle, mais il y a encore beaucoup de travail à faire, notamment dans le domaine pharmaceutique», commente le professeur du Département de bibliothéconomie et des sciences de l’information à la veille de son départ pour Londres, où il est invité à présenter ses résultats à l’occasion d’une rencontre internationale.

«En sciences, le sexe est une variable incontournable», dit l’article cosigné par Cassidy R. Sugimoto, Yong-Yeol Ahn, Elise Smith et Benoit Macaluso. De nombreuses preuves cliniques existent quant aux différences associées au sexe à diverses échelles de la morphologie: génétique, cellulaire, biochimique et physiologique. Malgré cela, plusieurs travaux sont publiés quotidiennement sans tenir compte de la dimension sexuelle. Les auteurs déplorent «la faible inclusion des femmes dans l’échantillonnage de la recherche médicale». Et même la «variabilité féminine» souvent évoquée pour justifier leur absence des recherches cliniques serait à revoir.

Résultat: sur les 10 médicaments retirés du marché entre 1997 et 2001 à cause des risques qu’ils posaient pour la santé humaine, 8 avaient des effets encore plus néfastes chez la femme.

11,5 millions d’articles

Vincent Larivière

Crédit : Amélie Philibert

L’article des spécialistes de la bibliométrie se base sur l’analyse de 11,5 millions d’articles indexés dans les répertoires Web of Science et PubMed. L’équipe a départagé les articles écrits par des femmes et des hommes sur la base des prénoms des auteures. «On a rejeté les cas où le prénom ne pouvait pas nous permettre de déterminer le sexe ou quand il y avait une incertitude, par exemple pour le prénom Dominique, qui peut désigner un homme ou une femme», précise Vincent Larivière. Près du tiers des articles ont été éliminés de l’échantillonnage pour cette raison.

Les femmes demeurent minoritaires en sciences du côté des producteurs de connaissances, comptant pour moins du tiers des «premiers auteurs» des articles de revues au facteur d’impact élevé, mentionne l’article. La femme est aussi sous-représentée dans des recherches hautement subventionnées. Cette situation, souligne le professeur Larivière, a une incidence sur la qualité des travaux scientifiques. «Je ne parle pas d’un point de vue idéologique mais bien empirique. En améliorant la place des femmes en recherche, on améliore la qualité des résultats des études scientifiques.»

Cette observation va dans le sens de la conclusion de l’article: «Le sexe et le genre doivent être pris en compte tout au long du cycle de vie de la recherche, peut-on lire. Il faut veiller à la parité dans la main-d’œuvre scientifique et dans les populations de sujets participant aux expériences ‒ des lignées cellulaires aux humains en passant par les rongeurs. C’est essentiel pour produire une recherche médicale efficace et rigoureuse.»