Prendre soin de soi et des autres… toute l’année durant
- Forum
Le 14 février 2019
- Martin LaSalle
La conférence annuelle de l’UdeM marquant la Semaine nationale de prévention du suicide fut l’occasion de sensibiliser la communauté à l’importance de prendre soin de soi et des autres tous les jours!
Si la Semaine nationale de prévention du suicide permet de rappeler qu’il importe de prendre soin de sa santé mentale et de celle des gens qui nous entourent, la conférence annuelle du Centre de santé et de consultation psychologique de l’Université de Montréal visait, elle, à rappeler qu’il importe de le faire toute l’année durant.
À l’occasion de cette conférence qui a eu lieu le vendredi 8 février, quelque 200 participants ont pu entendre le doyen de la Faculté des arts et des sciences (FAS), Frédéric Bouchard, ainsi que la professeure Michèle Brochu, du Département de pharmacologie et physiologie, et sa fille Marie-Ève Richard, étudiante en génie biomédical à Polytechnique Montréal.
Favoriser l’épanouissement des individus: une mission
Pour Frédéric Bouchard, la mission de l’Université de Montréal est fondamentalement axée sur l’épanouissement des individus. «On perd parfois de vue cette finalité, mais l’épanouissement des étudiants et de nos collectivités passe par la connaissance, car celle-ci donne un sens à la vie», a-t-il souligné d’emblée.
Or, le doyen de la FAS a relevé un paradoxe: l’université – et pas que l’UdeM – est un milieu qui peut être anxiogène tant pour les étudiants que pour le corps enseignant et les employés.
«Il existe souvent une incompréhension mutuelle quant au rôle de chacun dans la communauté universitaire, a indiqué M. Bouchard. Nous avons tous des réalités personnelles différentes et nous devons nous donner une chance d’écouter les autres pour comprendre ce que chacun vit.»
De plus, notre époque peut aussi s’avérer anxiogène. «Qu’on le veuille ou non, nous entrons dans une période de changement et d’instabilité, notamment avec le réchauffement climatique et l’émergence de l’intelligence artificielle, a illustré Frédéric Bouchard. Tout ne sera pas négatif, mais les incertitudes feront que nous serons tous amenés à nous demander ce que c’est que d’être humain, dans un monde de plus en plus difficile à comprendre.»
Si la mission de l’université consiste à favoriser l’épanouissement des individus, il s’agit d’un projet collectif qui ne se limite pas aux salles de cours. «De nombreux étudiants et collègues éprouvent de grandes difficultés et connaissent des épisodes de détresse et de solitude, a-t-il fait remarquer. C’est pourquoi il est important d’être bienveillant à l’égard de soi et de ceux et celles que nous croisons dans notre quotidien, et d’être présent les uns pour les autres à longueur d’année.»
À cet égard, il a cité la campagne Ça va aller, mise sur pied par les Services aux étudiants et la Fédération des associations étudiantes du campus de l’UdeM: «Cette campagne n’est pas une promesse, mais un état de fait à venir, a mentionné Frédéric Bouchard. C’est une invitation à être charitable envers nos collègues de tous les groupes, à ne pas laisser les contraintes du quotidien et la société nous faire oublier que chacun de nous participe à quelque chose de plus grand que soi.»
L’histoire qui suit donne encore plus de poids aux propos de Frédéric Bouchard.
Réapprendre à vivre dans le deuil
Le 28 février 2012, Maxime Richard quitte le foyer familial pour se rendre à son école secondaire. Le soir venu, il ne rentre pas à la maison.
La famille, les amis puis les camarades de classe se mobilisent rapidement pour tenter de le retrouver: une page Facebook avec une photo de Maxime est créée et partagée; on distribue des affiches un peu partout, dont à la station de métro Longueuil‒Université-de-Sherbrooke, pour signaler sa disparition…
Le corps du jeune homme de 16 ans sera retrouvé 33 jours plus tard dans un boisé à 100 kilomètres de chez lui. L’autopsie révélera qu’il est mort d’hypothermie. Dans un «contexte suicidaire».
Dans sa chambre et dans son casier à l’école, la famille a trouvé des lettres individualisées qu’il avait écrites pour expliquer sa détresse et les problèmes qui l’habitaient, et surtout pour déculpabiliser ses proches quant à son geste fatal.
Cette triste histoire, la professeure Michèle Brochu l’a racontée à plusieurs reprises et elle la partage souvent avec ses étudiants. Maxime était le cadet de ses quatre enfants.
Mme Brochu et sa fille Marie-Ève ont expliqué à quel point Maxime a été un enfant puis un adolescent bien entouré, aimé des siens, avec de nombreux amis. «Il était sociable, jouait de la musique et avait un grand sens de l’humour, mais jamais il n’a parlé de son mal-être», a déploré sa mère. Sa sœur a eu les mêmes propos: «Nous étions très proches et, malgré notre complicité, il ne m’a jamais confié ses difficultés.»
Malgré la douleur du deuil – et sans doute grâce à la force que celui-ci lui a procurée –, Michèle Brochu a voulu «faire quelque chose pour aider les gens». Ce quelque chose a pris la forme de nombreux témoignages et conférences pour donner espoir à ceux qui estiment ne plus en avoir.
Prêter une oreille attentive, sans juger
«Maxime nous a écrit qu’il aurait aimé nous parler de ce qu’il vivait, mais qu’il ne souhaitait pas qu’on tente de le dissuader, a relaté Mme Richard. Parce que la réaction de ceux à qui l’on confie un problème si lourd est d’essayer d’atténuer la douleur exprimée, de dire que tout n’est pas si grave… Ce n’est pas ce que les personnes en détresse ont besoin d’entendre!»
Dans son carnet qui contenait ses derniers écrits, Maxime dit que, le jour de son départ, il a rencontré un itinérant à la station de métro Longueuil‒Université-de-Sherbrooke, à qui il s’est livré. L’homme ‒ qui se prénommait Marc ‒ lui a dit de venir le revoir et de ne pas commettre l’irréparable. «Il aurait voulu l’aider et il a essayé de le retenir, mais en vain, a poursuivi Marie-Eve Richard. Cet homme a été à l’écoute et c’est la preuve qu’on peut parler à un inconnu; ça peut nous aider.»
«Si je raconte souvent l’histoire de Maxime à mes étudiants, c’est parce que j’ai la santé mentale à cœur, déclare Mme Brochu. La vie d’étudiant est faite de pression extérieure – études, examens, formulaires… – et aussi de celle qu’on se met soi-même: prenez le temps de vous poser, de voir si vous en avez assez et parlez à quelqu’un. Parfois, l’eau est embrouillée, mais elle peut redevenir claire le lendemain.»
Une plante araignée pour se souvenir et semer l’espoir
Lorsque Maxime était en troisième année du primaire, en 2004, il a ramené une bouture de plante araignée à l’issue d’un travail d’écologie. Il s’en est occupé jusqu’à sa disparition, le 28 février 2012. La plante n’avait alors jamais produit de pousses. Mais un mois après la découverte du corps inanimé de Maxime, elle s’est mise à fleurir…
Michèle Brochu y a vu un signe que la vie continuait, et cette floraison lui a rappelé combien son fils aimait la nature. Depuis ce temps, elle repique des boutures de plantes araignées et les offre à ceux et celles venus l’entendre dans ses conférences. C’est ce qu’elle a d’ailleurs fait à l’issue de son témoignage avec sa fille Marie-Ève: elle en a distribué plus d’une centaine, chacune accompagnée d’un petit mot dont la fin se lit ainsi:
«Que cette plante vous rappelle de prendre soin de vous, de vous exprimer si vous souffrez. Qu’elle vous rappelle d’être une oreille attentive sans jugement pour les autres: ensemble, nous pouvons faire une différence.»