Pour que les infirmières soient plus bienveillantes avec leurs patients, il faut être plus bienveillant avec elles
- Forum
Le 25 février 2019
- Martin LaSalle
Les directions d’hôpitaux doivent être sensibilisées à l’importance de l’approche humaniste des soins, qui apporte des bienfaits aux infirmières et aux patients, selon Chantal Cara, de l'UdeM.
Les restrictions et compressions survenues au cours des dernières années dans le réseau québécois de la santé ont mis beaucoup de pression sur le personnel soignant, dont les infirmières: elles sont nombreuses à ressentir des symptômes d’épuisement professionnel, notamment en raison de la surcharge de travail et de la déshumanisation organisationnelle qu’elles peuvent subir. Et cette déshumanisation s’étend aux soins apportés aux patients.
Or, pour s’attaquer à cette problématique, il est envisageable – et bénéfique à la fois pour les infirmières et leurs patients – d’intégrer un programme de formation continue pour les infirmières en milieu hospitalier axé sur une approche humaine et relationnelle des soins aux patients, aussi appelée approche caring en sciences infirmières.
C’est ce qu’ont démontré la professeure Chantal Cara, de la Faculté des sciences infirmières de l’Université de Montréal, ainsi que ses collègues Louise O’Reilly et Philippe Delmas.
L’article scientifique qu’ils ont publié récemment fait état de deux études pilotes menées en milieu hospitalier francophone – la première effectuée en 2012 à l'Institut de réadaptation Gingras-Lindsay-de-Montréal, affilié à l'Université de Montréal, et l’autre en 2016 à l’unité d’hémodialyse d’un hôpital du canton de Vaud, en Suisse – où une intervention éducative en soins humanistes a été testée auprès d’infirmières.
Qu’est-ce que l’intervention éducative en soins humanistes?
De nombreux auteurs de la discipline infirmière ont décrit les soins infirmiers en s’inspirant de la philosophie humaniste. «Leurs travaux ont mis à l’avant-plan une approche humaine et relationnelle des soins, ce qui exige bien plus que de la gentillesse, précise Chantal Cara. Il faut préalablement s’être approprié les valeurs fondamentales humanistes pour ensuite pouvoir moduler le savoir, le savoir-être, le savoir-faire et le savoir-agir de l’infirmière.»
Dans la pratique, cette approche se traduit par un accompagnement du patient qui va au-delà du seul problème de santé qui l’afflige, en cherchant à le comprendre, à l’écouter de façon authentique et avec compassion, à le réconforter en l’invitant à être partenaire dans ses soins, à l’encourager à garder espoir et à favoriser son autonomie vis-à-vis de son état de santé, tout en préservant sa dignité.
L’intérêt pour une approche humaniste des soins s’est accru à la Faculté des sciences infirmières de l’UdeM à partir des années 80, avec les travaux des professeures Georgette Desjean et Thérèse Doucet.
Inspirée par leurs recherches, Mme Cara a approfondi cette philosophie pendant ses études supérieures, en particulier au cours de son doctorat sous la direction de la professeure Jean Watson, à Denver, au Colorado.
Quelques années plus tard, durant son mandat de vice-doyenne aux études supérieures de la faculté, de 2009 à 2015, Chantal Cara a dirigé les travaux d’une équipe qui a élaboré le modèle humaniste des soins infirmiers à l’UdeM: en plus d’être enseigné au sein de l’unité dans tous les programmes de premier cycle, ce modèle d’intervention est proposé aux directions des soins infirmiers des établissements de santé.
Une intervention éducative humaniste applicable et satisfaisante pour les infirmières et pour les patients
Dans les études pilotes qui ont été réalisées par Chantal Cara et ses collègues, les infirmières ont pris part à quatre séances de formation reposant sur une approche humaniste des soins d’une durée totale de 14 heures.
«Les participantes québécoises et suisses se sont dites satisfaites de l’intervention, indique Chantal Cara. Elles considèrent la formation comme accessible et applicable à différentes clientèles et soutiennent qu’elle les a aidées à favoriser une pratique humaniste et holistique auprès des patients, et à adopter une pratique plus réflexive.»
Elles ont aussi fait part de critiques constructives. «Les infirmières nous ont révélé que, lorsqu’elles sont très occupées, elles ont moins le temps de faire leurs lectures et de réfléchir sur leur pratique, poursuit Mme Cara. Cela n’altère pas nos résultats, mais nous permet de réviser notre approche.»
Et, de surcroît, les patients disent apprécier les soins et l’attention qu’ils reçoivent des infirmières ayant suivi la formation en soins humanistes.
Première Québécoise à obtenir une distinction américaine en sciences infirmières
Le 3 novembre dernier, le dévouement et le travail de Chantal Cara pour faire avancer l’approche humaniste des soins infirmiers lui ont valu de recevoir le titre de fellow de l’American Academy of Nursing, une haute distinction décernée pour la première fois à une Québécoise!
«Puisque peu d’infirmières non américaines reçoivent le titre de fellow, je ne croyais pas avoir beaucoup de chances de gagner ce prix prestigieux, dit-elle humblement. Je crois que ce qui m’a aidée, ce sont les travaux que je mène avec des collègues de Suisse, de Belgique et des États-Unis, ainsi que mon stage postdoctoral fait sous la direction de Jean Watson.»
Mais ce que souhaite surtout Chantal Cara, c’est que la profession infirmière puisse s’humaniser davantage. «Ici comme ailleurs dans le monde, les patients – et particulièrement les personnes âgées – sont parfois négligés et souffrent de la déshumanisation des soins, mentionne-t-elle. Les patients ne sont pas des numéros et les infirmières peinent à trouver un sens à leur travail lorsqu’on les soumet à une pression indue.»
Selon elle, les directions d’hôpitaux doivent davantage être conscientisées quant à l’importance de l’approche humaniste non seulement des soins, mais de la gestion également.
«Tout passe par le caring, conclut-elle. Certes, c’est exigeant, mais les bienfaits sont démontrés. Pour que les infirmières soient plus bienveillantes avec leurs patients, il faut être plus bienveillant avec elles!»