Au Québec, la structure des écoles secondaires contribue à reproduire les inégalités sociales
- Forum
Le 25 mars 2019
- Martin LaSalle
La structure du système québécois des écoles secondaires contribue grandement à reproduire les inégalités sociales au lieu de les aplanir, selon le professeur Pierre Canisius Kamanzi, de l’UdeM.
En moyenne, 70 % des élèves québécois qui terminent leurs études secondaires accèdent aux études collégiales et, parmi eux, la moitié (35 %) se rend à l’université. Toutefois, le taux d’accès aux études supérieures varie grandement selon le type d’école secondaire fréquentée, ainsi que le niveau de scolarité et le revenu des parents.
En fait, les élèves du secondaire qui fréquentent une école privée ou qui suivent un programme enrichi dans une école publique sont proportionnellement plus nombreux à effectuer des études collégiales et plus tard universitaires que ceux issus du secteur public ordinaire.
C’est ce qu’indiquent les résultats d’une étude menée par Pierre Canisius Kamanzi, professeur au Département d'administration et fondements de l'éducation de l’Université de Montréal, à partir d’une cohorte de 2677 élèves québécois nés en 1984 et ayant pris part à l’Enquête auprès des jeunes en transition – une étude de Statistique Canada amorcée en 2000 qui a suivi le parcours de près de 30 000 enfants sur une période de 10 ans.
Il y a quelques mois, une recherche effectuée à partir des données du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport et à laquelle a participé M. Kamanzi révélait que, au collégial, il y a une surreprésentation des jeunes ayant fréquenté l’école privée et de ceux ayant réussi un programme particulier ou enrichi au public, comparativement aux jeunes qui ont fréquenté l’école publique ordinaire.
Or, l’étude publiée en janvier 2019 dans la revue Social Inclusion sous la plume du professeur Kamanzi démontre que cette surreprésentation existe pour l’ensemble des études supérieures au Québec, c’est-à-dire au collégial comme à l’université.
L’influence de l’école fréquentée sur l’accès à l’enseignement supérieur
L’analyse des données montre que, à l’âge de 22 ans, un élève sur deux (49 %) inscrit dans le programme public ordinaire au secondaire a atteint le cégep, en comparaison de 91 % chez ceux inscrits dans un programme public particulier (mathématiques, sciences, langues, sports par exemple) et de 94 % chez les jeunes qui ont été dans une école secondaire privée.
L’écart est encore plus marqué lorsqu’il est question de la transition de ces élèves vers des études universitaires: 15 % des jeunes du programme ordinaire y accèdent, contre 51 % chez les élèves des programmes particuliers et 60 % chez ceux du privé.
«Pour constater la surreprésentation des élèves du privé à l’université, notons qu’ils sont 60 % à y poursuivre leurs études, tandis que seulement 16 % de la cohorte fréquentait le privé, illustre-t-il. Par comparaison, 51 % étaient dans le programme ordinaire au secondaire et seulement 15 % se sont rendus à l’université…»
L’effet du parcours scolaire et des revenus des parents
Le parcours scolaire et les revenus des parents ont aussi un effet direct sur le prolongement des études des enfants.
Ainsi, la moitié (54 %) des élèves du secondaire dont les parents ont au moins un diplôme d’études secondaires (DES) poursuivent des études collégiales. Cette proportion grimpe à 89 % lorsqu’un des parents possède un diplôme universitaire.
L’écart se creuse davantage lorsqu’on s’arrête aux études universitaires: seulement 20 % des jeunes les entreprennent quand leurs parents ont un DES, comparativement à 32 % chez les élèves dont les parents sont titulaires d’un diplôme d'études collégiales et à 60 % chez ceux dont au moins l’un des parents a un diplôme universitaire.
«Pour cette variable, on constate que le taux de jeunes qui se rendent à l’université est trois fois supérieur parmi ceux dont les parents ont fait des études universitaires, par comparaison avec ceux dont les parents ont un DES, observe Pierre Canisius Kamanzi. Cet important écart est toutefois moindre lorsqu’on se penche sur les revenus des parents.»
En effet, les élèves dont les parents ont un revenu annuel modeste (situé dans le premier quartile) sont 59 % à fréquenter le cégep et 23 % à aller à l’université. Par contre, parmi ceux dont les parents ont un revenu situé dans la catégorie supérieure (quatrième quartile), 78 % accèdent aux études collégiales et 46 % vont à l’université.
L’écrémage des élèves: une forme de ségrégation sociale
Selon le professeur Kamanzi, l’enseignement secondaire québécois a progressivement évolué vers un système plus élitiste à partir du milieu des années 90.
«Devant la compétition des écoles privées qui, pour la grande majorité, sélectionnent les élèves ayant les meilleures notes, le réseau secondaire public a voulu lui aussi retenir les plus talentueux en créant des programmes particuliers comme en sciences, en mathématiques, en arts, en sports ou en musique», mentionne-t-il.
Selon lui, la création de ces programmes a eu l’effet pervers de «ghettoïser» davantage les jeunes des classes ordinaires, composées d’une majorité d’élèves faibles ou en difficulté.
«Nos données montrent que l’école secondaire fréquentée a une influence directe sur la suite du parcours scolaire des élèves, affirme-t-il. Or, le marché québécois de l’école secondaire perpétue les inégalités sociales au lieu de contribuer à les aplanir en offrant un enseignement de qualité identique à tous, quelle que soit leur origine sociale.»
«La vision égalitariste de l’éducation véhiculée par les politiques publiques au Québec – et promue depuis le dépôt du rapport Parent dans les années 60 – a été en partie compromise au cours des dernières décennies par l’expansion d’un marché de l’école secondaire caractérisé par une certaine forme de ségrégation sociale», conclut M. Kamanzi.