La chimie du sirop d'érable pour mieux se sucrer le bec!

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  • Le 1 avril 2019

  • Dominique Nancy
L'agent de recherche Simon Forest analyse des échantillons de sirop d'érable.

L'agent de recherche Simon Forest analyse des échantillons de sirop d'érable.

Crédit : Amélie Philibert

En 5 secondes

Un professeur du Département de chimie et son équipe travaillent sur un test de couleur qui permettra de reconnaître rapidement le meilleur sirop d’érable.

Après les goûteurs professionnels de sirop d’érable – oui, ce métier existe bel et bien –, un test de couleur (colorimétrique) pour reconnaître le sirop de qualité supérieure viendra d’ici quelques années renforcer l’arsenal des producteurs acéricoles du Québec afin de produire un sirop d’érable de qualité exceptionnelle.

Le sirop d’érable, c’est du sérieux au Québec. En plus de favoriser l’essor économique des régions et de faire rayonner la province à l’étranger, le sirop et les produits dérivés de l’industrie acéricole québécoise contribuent au produit intérieur brut canadien à hauteur de 800 M$ annuellement, selon les experts du domaine. «C’est une très grosse industrie, confirme Jean-François Masson. Près des trois quarts de la production mondiale proviennent de chez nous.» Les 11 300 producteurs et productrices acéricoles du Québec ont ainsi produit 11 millions de gallons en 2017, selon Statistique Canada.

Le professeur du Département de chimie de l’Université de Montréal et son équipe travaillent à mettre au point un outil de contrôle de la qualité du sirop à la demande des producteurs acéricoles de la province. «Notre objectif est de concevoir un test colorimétrique qui permettrait de détecter rapidement la présence de “défauts de saveur” dans le sirop d’érable. L’outil doit tenir compte des propriétés organoleptiques recherchées du produit», explique l’expert en chimie analytique et en instrumentation portable qui figure cette année sur la liste des 40 meilleurs chimistes analystes de moins de 40 ans du magazine britannique The Analytical Scientist.

Le principe de ce nouvel outil est simple. «L’approche s’apparente à un test de pH pour une piscine. La couleur change selon le profil moléculaire et gustatif du sirop d’érable», mentionne le professeur pendant que son agent de recherche, Simon Forest, exécute la tâche. «Il suffit de verser quelques gouttes de sirop dans le réactif et d’attendre une dizaine de secondes», indique M. Forest. Si le résultat obtenu demeure dans le spectre du rouge, il s’agit d’un sirop de première qualité, c’est-à-dire qu’il possède les caractéristiques recherchées du sirop d’érable que l’on connaît et qu’on aime. C’est un sirop dit «commercial» qui sera vendu à l’épicerie ou qui pourra être exporté. Mais l’échantillon que M. Forest tient dans sa main tourne au bleu. «Ah, celui-ci est un sirop qui sera fort probablement classé comme industriel», constate l’agent de recherche.

«Ce n’est pas parce qu’un sirop est qualifié d’industriel qu’il n’est pas bon pour la consommation ou que son taux de sucre diffère, précise Jean-François Masson. Cela signifie simplement qu’il n’a pas les caractéristiques typiques souhaitées du sirop d’érable selon les standards de qualité définis par les producteurs québécois pour être vendu au consommateur.» Son odeur par exemple peut être moins parfumée ou il peut carrément sentir le bois humide, une des nombreuses catégories du classement établi par des experts chargés du contrôle de la qualité pour les producteurs. Ce sirop, par ailleurs, est souvent utilisé pour apporter un goût sucré dans différentes préparations alimentaires.

Selon Jean-François Masson, le sirop d’érable a une complexité moléculaire semblable au vin. Nombre de producteurs acéricoles associent d’ailleurs le sirop d’érable à un bon vin. Son goût est délicat, sans amertume, et son parfum subtil s’apparente à l’érable doux. «En ce moment, ce sont une vingtaine de spécialistes qui goûtent toute la production de sirop d’érable du Québec. On a fait appel à nous pour concevoir un test objectif qui soit facile et rapide d’utilisation.»

L’outil mis au point par les chercheurs de l’Université de Montréal pourrait être employé pour d’autres produits, comme les jus et les vins, ou encore pour répondre à différentes problématiques agroalimentaires. «Il s’agit du premier test colorimétrique objectif qui permettra de déterminer des profils de saveur du sirop d’érable, fait valoir Jean-François Masson. On pourrait éventuellement adapter ce test à d’autres produits.»

Du sirop à la sève

Caramélisé, saveur de bois, bourgeon, fumé, salé, brûlé, défaut de saveur… Des spécialistes ont désigné pas moins d’une soixantaine de catégories. Le sirop d’érable est essentiellement une solution concentrée de sucre constituée à 66 % de sucrose, 33 % d’eau et 1 % de différents composés. Ce sont une panoplie de ces autres composés, présents en petites quantités, qui sont responsables du goût si particulier du sirop d’érable.

Comme le vin, les profils de saveur du sirop d’érable varient selon divers facteurs, notamment la période de la récolte, la région, les méthodes de production et d’entreposage et, bien sûr, la météo. Passer subitement de -10 °C à 10 °C en l’espace d’une fin de semaine risque fortement d’entraîner des modifications dans le profil gustatif du produit. Présentement, il est impossible pour les producteurs de le savoir avec certitude avant que l’eau d’érable soit transformée en sirop.

L’an dernier, l’équipe de Jean-François Masson a analysé quelque 3000 échantillons de sirop d’érable en provenance de toutes les régions du Québec. «Cette année, on veut analyser 30 000 échantillons, signale Jean-François Masson. On veut aussi éventuellement étendre le même type de test à l’eau d’érable. Notre objectif est de pouvoir aider les producteurs avant qu’ils transforment la sève en sirop. Le test ne serait pas seulement un simple contrôle de qualité, il serait aussi un outil décisionnel lors de la production à l’érablière.»

Un sirop d’érable UdeM

Ce printemps, une cinquantaine d’érables ont été entaillés par l’équipe du développement durable de l’Université de concert avec des producteurs acéricoles du Québec et la récolte sera utilisée pour tester l’outil conçu par le professeur Masson. «On veut démocratiser la science en amenant les gens à participer à la recherche, souligne Simon Forest. La sève non utilisée sera transformée en sirop par les services alimentaires, qui s’en serviront pour la préparation des repas.»  

L’aspect communautaire du projet motive l’équipe et les partenaires, qui y voient une valeur ajoutée à leurs travaux. À travers la mobilisation des gens, la recherche devient une expérience sociale enrichissante et bénéfique pour tout le monde, en plus de s’inscrire dans la politique de développement durable du campus. «C’est la chimie à son meilleur!» conclut le professeur Masson.

  • Alexandre Beaudoin, le conseiller en biodiversité à l'UdeM, et le professeur Jean-François Masson recueillent de l'eau d'érable.

    Alexandre Beaudoin, conseiller en biodiversité à l'UdeM, et le professeur Jean-François Masson recueillent de l'eau d'érable. Ce printemps, une cinquantaine d’érables ont été entaillés par l’équipe du développement durable de l’Université et la récolte sera utilisée pour mettre à l'épreuve le test colorimétrique.

    Crédit : Amélie Philibert
  • Les services alimentaires de l'UdeM prépareront bientôt des repas avec la sève des érables entaillés du campus.

    Crédit : Amélie Philibert
  • Comme le vin, les profils de saveur du sirop d’érable varient selon divers facteurs, notamment la période de la récolte, la région, les méthodes de production et d’entreposage et, bien sûr, la météo.

    Crédit : Amélie Philibert
  • L'échantillon de sirop d'érable deviendra-t-il rouge ou bleu? «On va le découvrir dans quelques secondes», dit l'agent de recherche Simon Forest.

    Crédit : Amélie Philibert
  • L'outil mis au point par l'équipe du professeur Jean-François Masson est le premier test colorimétrique objectif qui permettra de déterminer des profils de saveur du sirop d’érable.

    Crédit : Amélie Philibert