Alain Lacoursière: l’étonnante victoire de l’histoire de l’art sur le crime organisé

C’est dans la galerie de Simon Blais, l’un des plus grands marchands d’art de Montréal, que le recteur Guy Breton a rencontré celui qu’on a surnommé «le Columbo de l’art».

C’est dans la galerie de Simon Blais, l’un des plus grands marchands d’art de Montréal, que le recteur Guy Breton a rencontré celui qu’on a surnommé «le Columbo de l’art».

Crédit : Amélie Philibert

En 5 secondes

En combinant un baccalauréat en histoire de l’art et une carrière de détective, Alain Lacoursière a créé une nouvelle spécialisation: l’enquête relative aux œuvres d’art. Guy Breton l’a rencontré.

C’est dans la galerie de Simon Blais, l’un des plus grands marchands d’art de Montréal, que le recteur Guy Breton a rencontré celui qu’on a surnommé «le Columbo de l’art» et qui mène aujourd’hui une deuxième carrière d’évaluateur dans le domaine.

Guy Breton: L’évolution de votre carrière est aussi inhabituelle que fascinante. Comment un sergent-détective s’est-il retrouvé dans une classe d’histoire de l’art au début des années 90?

Alain Lacoursière: J’ai eu la piqûre pour l’art en 1989, au cours d’un voyage à Paris. Je n’ai visité que des musées, je crois même être allé six fois au musée Rodin! De retour ici, je me suis inscrit en histoire de l’art et j’ai demandé une mutation au poste de Côte-des-Neiges pour pouvoir me rendre aux cours entre deux quarts de travail. Je suis tombé sur des professeurs merveilleux, dont François-Marc Gagnon, qui est devenu mon mentor. C’est plus tard que j’ai fait le lien avec mon travail de policier. En fréquentant des encans à Montréal, je voyais des œuvres qui avaient été volées à l’étranger. J’ai commencé à enquêter.

GB: Votre histoire illustre que, en allant chercher de nouvelles connaissances dans un autre domaine que le sien, on peut changer les choses dans son champ de pratique. Vous avez donc amené la police de Montréal à s’intéresser à un nouveau type de crime?

AL: Les choses n’ont pas été si faciles. Les crimes liés aux œuvres d’art ne bouleversaient pas mes patrons: les assurances remboursaient les victimes de toute façon. J’ai réussi à modifier leur perception en démontrant que le crime organisé utilisait les œuvres d’art pour blanchir de l’argent. Lors de l’opération Printemps 2001 contre les motards, nous avons récupéré 2,6 M$ en objets d’art. Qu’est-ce qu’un Hells, qui ne connaît rien aux automatistes, fait avec un Riopelle ou un Borduas? La réponse est qu’un tableau d’un demi-million de dollars voyage mieux que des valises remplies de billets de banque. Les motards et la mafia ont largement recouru à ce stratagème entre 1990 et 2010.

GB: Quels effets ont eu vos enquêtes sur l’incidence de ce type de crime?

AL: Nous avons, en quelque sorte, brûlé le marché. Nous avons élaboré un système nommé Art Alerte qui communiquait à près de 200 000 personnes du milieu de l’art et du milieu criminel de l’information sur les crimes associés à l’art. Ainsi, sachant que nous étions au courant que tel tableau avait été volé en Italie ou à New York, les chefs du crime organisé s’y intéressaient beaucoup moins. Il faut aussi dire que, avec l’arrivée d’Internet et du Web invisible, les moyens de blanchir de l’argent se sont multipliés.

GB: Vous avez pris votre retraite de la police en 2010. Est-ce que les enquêtes sur les crimes liés aux œuvres d’art se poursuivent aujourd’hui?

AL: J’ai contribué à mettre sur pied une équipe composée de membres de la Sûreté du Québec et de la Gendarmerie royale du Canada qui s’occupe des crimes associés à l’art. Ma seule demande était que le policier qui allait travailler avec moi s’inscrive au baccalauréat en histoire de l’art. Mon diplôme m’a donné une crédibilité incroyable auprès des musées et des organisations internationales et l’on m’a invité dans plusieurs pays pour donner des conférences. Le premier conseil que je donne aux jeunes artistes que je rencontre est d’entreprendre des études universitaires. Aujourd’hui, ceux qui exposent dans les galeries ont des bacs, des maîtrises, des doctorats. Parce qu’on s’attend à ce qu’ils aient non seulement du talent, mais aussi des connaissances et de la profondeur.