Jean-Marc Léger: l’homme qui décode les Québécois

Jean-Marc Léger

Jean-Marc Léger

Crédit : Amélie Philibert

En 5 secondes

Jean-Marc Léger sonde les secrets des Québécois depuis trois décennies. Le diplômé en sciences économiques devenu entrepreneur n’a pas fini de faire grandir l’entreprise qu’il a fondée avec son père.

Nous sommes au palais du président gabonais Omar Bongo, en 1993. Il est presque minuit et Jean-Marc Léger attend depuis le matin de livrer les résultats d’un sondage commandé par le chef d’État sur ses chances de garder démocratiquement le pouvoir après 26 ans de règne. Avec son équipe, le sondeur a sillonné le pays pendant trois mois en jeep et à pied, machette à la main, afin de connaître l’opinion de la population sur la première élection libre. On lui a promis une audience de cinq minutes avec le président et, quand celui-ci arrive enfin, il réduit la rencontre à deux minutes. «Ça va me prendre 10 secondes, déclare Jean-Marc Léger: vous allez perdre vos élections!»

Le dirigeant de Léger (Recherche – Stratégie – Conseil) sourit à l’évocation de cette anecdote, au sommet du magnifique immeuble de la place d’Armes qu’il occupe sur quatre étages avec la plus grande partie de ses 400 employés. Selon L’actualité, Jean-Marc Léger figure parmi les personnalités les plus influentes du Québec en 2019. Le «sondeur le plus crédible du Québec» se classe ainsi à la 25position.

C’est avec son père, Marcel Léger (1930-1993), qu’il crée en 1986 la firme Léger & Léger, appelée à devenir la plus importante société de sondages, d’études de marché et de stratégies marketing de propriété canadienne. Celui qui travaille debout devant une grande fenêtre où l’on voit le Vieux-Montréal et le port en pleine activité continue de gérer la croissance de son entreprise aujourd’hui implantée à Québec et ailleurs au Canada (Toronto, Calgary, Edmonton) ainsi qu’aux États-Unis (Philadelphie). «Cette semaine, je négocie l’acquisition de 3 firmes», dit le président et cofondateur, qui en a absorbé 10 en une décennie.

L’ambiance de travail est joviale ici. Quand le patron souriant et affable circule au milieu de ses employés (dont plusieurs sont diplômés de HEC Montréal et de l’UdeM), il est accueilli par des «Salut, Jean-Marc!» bien sentis. Le mot entrepreneur le décrit parfaitement. «J’aime créer. Je suis fier de contribuer à l’économie du Québec et à la création d’emplois à Montréal.»

Mais comme l’illustre l’anecdote avec Omar Bongo, le diplômé en sciences économiques de l’Université de Montréal (1982) fait des affaires partout dans le monde. Il retournera d’ailleurs sept fois au Gabon à la demande du président…

Une affaire de famille

Marcel Léger

Crédit : Office du film du Québec

Étudiant, Jean-Marc Léger était «un jeune homme dynamique et brillant qui soulevait des questions à propos notamment des répercussions de l’indépendance sur l’économie du Québec. C’était un plaisir d’en discuter dans mes cours de macroéconomie», relate Robert Lacroix, qui a été professeur au Département de sciences économiques de l’Université avant de devenir doyen de la Faculté des arts et des sciences et d’occuper la fonction de recteur de l’établissement de 1998 à 2005.

M. Lacroix mentionne que la formation du jeune homme en économie a bien servi ses ambitions. «Mais dans ce milieu, on est jugé sur sa crédibilité, et Jean-Marc l’a toujours très bien compris», commente le professeur émérite.

L’UdeM, c’est une affaire de famille pour les Léger, qui s’y succèdent depuis trois générations. À la suite de Marcel Léger, l’un des sept premiers députés de l’histoire du Parti québécois (administration 1950), et de Jean-Marc, Jérôme, son fils aîné, a terminé un baccalauréat en communication en 2014, alors que Philippe, le cadet, fait actuellement une maîtrise en science politique (voir l’encadré).

Jean-Marc Léger se souvient avec plaisir de ses années d’études. «J’étais très studieux, mais ça ne m’empêchait pas de faire du sport sept jours sur sept au CEPSUM.» C’est à cette époque qu’il convole avec Linda Asselin, la mère de leurs deux enfants. Ils célébreront leurs 40 ans de mariage l’an prochain.

L’étudiant aurait bien voulu poursuivre son parcours universitaire au deuxième cycle, mais le tourbillon de la vie professionnelle l’a happé. Il entame une scolarité de maîtrise, mais abandonne la rédaction du mémoire. «L’appel de l’entrepreneuriat a été trop fort», indique-t-il.

Celui qui connaît vos secrets

Jean-Marc Léger

Crédit : Photo fournie par Jean-Marc Léger

Il se reprend en 2018 en écrivant avec Jacques Nantel et Pierre Duhamel Le code Québec (Éditions de l’Homme), basé sur trois décennies de sondages sur mille et un sujets qui ont amené Jean-Marc Léger à connaître mieux que personne le peuple québécois. «C’est la recherche de maîtrise que je voulais faire», dit-il de cette suite revue et corrigée de l’ouvrage classique de Jacques Bouchard Les 36 cordes sensibles des Québécois.

Le code Québec présente «les sept différences qui font de nous un peuple unique au monde». Le Québécois est heureux, consensuel, détaché, victime, villageois, créatif et fier. Le livre connaît un succès monumental: 70 000 exemplaires sont écoulés et les auteurs donnent une centaine de conférences aux quatre coins du Québec.

Ce Montréalais qui a grandi à Anjou a connu personnellement tous les premiers ministres de la province depuis René Lévesque, qui venait régulièrement à la maison familiale. Le plus impressionnant à ses yeux: Jacques Parizeau. Un homme d’une grande classe et d’une grande culture. Le plus mésestimé: Robert Bourassa. Un homme intelligent et fin. Pauline Marois fut, à ses yeux, la plus injustement traitée.

À quand une carrière en politique? Pour l’instant, ce projet ne figure pas dans le plan d’affaires.

Léger père et fils

«Ta génération voulait l’indépendance, mais pensait qu’elle n’en avait pas les moyens. La mienne sait qu’elle a les moyens, mais se demande pourquoi faire l’indépendance», écrit Philippe Léger le 28 mai 2018 dans la chronique «Le choc des générations», qui paraît chaque mois dans Le Journal de Montréal. Rédigée à quatre mains par l’étudiant à la maîtrise en science politique de l’UdeM de 23 ans et son père Jean-Marc Léger (58 ans), elle aborde le conflit ouvert entre milléniaux et babyboumeurs.

Si les échanges entre les deux chroniqueurs sont courtois, aucun sujet n’est tabou. Les «milléniaux enfants-rois» devenus «consommateurs-rois» donnent la réplique aux babyboumeurs qui ne comprennent rien aux médias sociaux. On parle de sexualité, de drogue autant que de santé mentale et de politique internationale. «Nous rendons publique une statistique et la commentons. Parce qu’une donnée de sondage sans explication, ça ne veut pas dire grand-chose», explique Philippe Léger à la sortie d’un cours.

La vraie fracture sociale du Québec contemporain est générationnelle, selon Jean-Marc Léger. Ce n’est plus le débat souveraineté-fédéralisme qui divise la population ou alimente l’opposition droite-gauche, mais le grand fossé qui sépare les plus de 35 ans et les moins de 35 ans. «C’est vrai partout! Dans les habitudes de consommation, les opinions politiques, les priorités sociales», commente le sondeur chevronné.

Philippe Léger n’a aucune gêne à ce qu’on le présente comme «le fils de». Son père, qu’il appelle par son prénom, est plus un ami qu’un papa. «Je suis fier de travailler pour la firme qui porte notre nom de famille. Et l’amitié qui me lie à mon père est aussi un signe des temps. Les jeunes n’ont pas envie de jeter tout ce que leurs prédécesseurs ont construit. Ils veulent plutôt chercher des solutions ensemble.»

Cette expérience lui a valu une chronique en solo où il défend le point de vue des jeunes sur la société.

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