L’influence des médias: il faut séparer le vrai du faux

Le lien de cause à effet entre les médias et les comportements politiques n’est pas si bien établi scientifiquement, même dans le cas des fausses nouvelles.

Le lien de cause à effet entre les médias et les comportements politiques n’est pas si bien établi scientifiquement, même dans le cas des fausses nouvelles.

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L’arrivée des médias sociaux a bouleversé l’univers de l’information et de la communication politique. Mais les répercussions de cette mutation ne sont pas aussi claires qu’on pourrait le croire.

Simon Thibault

Crédit : Amélie Philibert

Dans les propos de moult commentateurs, la cause semble entendue: la montée des médias sociaux modifie les comportements politiques, et la vulnérabilité de nos démocraties aux diverses manipulations les met en péril. Pourtant, le lien de cause à effet entre les médias et les comportements politiques n’est pas si bien établi scientifiquement, même dans le cas des fausses nouvelles.

À la suite de l’élection américaine de 2016, on a beaucoup entendu – y compris de la bouche d’Hillary Clinton – qu’une partie de la victoire de Donald Trump était attribuable à la désinformation et à l’incidence qu’elle aurait eue sur les comportements électoraux des Américains. «Or, le peu de recherches empiriques sur le sujet ne permet pas d’établir ce lien de causalité», souligne Simon Thibault, professeur de science politique à l’Université de Montréal. Il s’est intéressé de près au phénomène des fausses nouvelles, notamment dans l’ouvrage Les fausses nouvelles, nouveaux visages, nouveaux défis: comment déterminer la valeur de l’information dans les sociétés démocratiques, qu’il a dirigé avec Florian Sauvageau et Pierre Trudel.

«La prolifération des fausses nouvelles en ligne est bien documentée, poursuit M. Thibault. Cela dit, des chercheurs ont montré que l’exposition des électeurs aux publications trompeuses était moins importante que certains l’avaient supposé, notamment lors de l’élection de 2016 aux États-Unis.» Il rappelle par ailleurs que, selon un article publié récemment dans la revue Science Advances, le partage de fausses nouvelles sur Facebook durant la dernière campagne électorale américaine s’est avéré peu fréquent et concernait moins de neuf pour cent des utilisateurs de la plateforme.

Aussi, l’idée que l’information, vraie ou fausse, conforte l’individu dans ses opinions plus qu’elle l’en fait changer a été maintes fois soulignée dans des recherches menées aux États-Unis sur les rumeurs et les théories du complot. Il a, par exemple, été montré que les républicains croient plus facilement que les démocrates que Barack Obama n’est pas né aux États-Unis. À l’inverse, les démocrates acceptent plus volontiers l’idée d’un George W. Bush complice des attaques terroristes du 11 septembre 2001 à New York.

Les médias, un facteur parmi d’autres

Frédérick Bastien

Il serait donc réducteur de penser que les médias, traditionnels ou sociaux, peuvent à eux seuls expliquer l’augmentation de phénomènes comme l’élection de Donald Trump ou l’essor du populisme en Europe.

«Tout ne s’explique pas par les médias, l’opinion publique résulte d’une multitude de facteurs, signale Frédérick Bastien, professeur de science politique à l’UdeM spécialisé en communication politique. Il serait beaucoup trop simple de dire que l’opinion publique est entièrement influencée par le discours médiatique. Toutefois, les médias s’inscrivent dans des processus qui renforcent certains facteurs.»

M. Bastien cite notamment une étude publiée en 2017 dans le Journal of Communication, qui examine l’incidence du discours médiatique sur la hausse du populisme dans quatre pays européens. Selon les auteurs, certains contenus médiatiques peuvent affermir la tendance au populisme chez des personnes qui y sont prédisposées tout en ayant l’effet exactement contraire chez les gens qui s’y opposent. Un même discours peut ainsi consolider deux opinions politiques diamétralement opposées, puisqu’il est interprété différemment selon nos convictions politiques.

Des perceptions campées...

Le renforcement des opinions pourrait ainsi constituer l’une des principales conséquences de la montée des médias sociaux. C’est la théorie de la «chambre d’écho», où l’information tend à se limiter à un point de vue particulier et à exclure les visions contraires. Dans les médias sociaux, une personne peut décider de ne lire ou de ne regarder que ce qui correspond à ses opinions. Les effets de cette information à la carte se trouvent de plus amplifiés par le jeu des algorithmes. Ces derniers agissent comme des filtres et trient l’information pour n’offrir à l’usager que ce qui a le plus de chance de l’intéresser ou de lui plaire.

«D’ailleurs, cela se fait aussi de plus en plus du côté des médias traditionnels, surtout aux États-Unis, ajoute M. Bastien. Des chaînes comme CNN et Fox News présentent des talk-shows mettant de l’avant des lectures respectivement plus libérales ou plus conservatrices de la réalité. Le même phénomène s’observe au sein de journaux et de radios ayant des lignes éditoriales polarisées.» En se limitant à des médias ne reflétant qu’une seule vision de la réalité, les individus se confortent dans leurs convictions et deviennent de moins en moins tolérants vis-à-vis des autres points de vue, ce qui alimente la radicalisation et la polarisation des positions.

... ou des points de vue variés

Cette thèse de la chambre d’écho, très en vogue en ce moment, est toutefois contestée. Car si les médias sociaux balkanisent l’information, ils ont aussi le mérite de faire connaître, ne serait-ce qu’accidentellement, une variété de messages politiques. Ces messages sont souvent véhiculés par des personnalités ou des groupes d’intérêts que les gens suivent pour des raisons n’ayant rien de politique. Pour les opposants à la théorie de la chambre d’écho, les médias sociaux n’auraient donc pas pour effet de modifier ni de renforcer les convictions de ceux qui en prennent connaissance.

«Il demeure assez difficile, pour l’instant, de départager laquelle de ces deux thèses l’emporte: celle de la chambre d’écho, qui soutient que les médias sociaux nous enferment dans une bulle d’opinion, ou la thèse parallèle selon laquelle nous sommes confrontés par accident à des messages politiques multiples», reconnaît M. Bastien.

La responsabilité individuelle

Ruth Dassonneville

Crédit : Amélie Philibert

Reste que la montée des médias sociaux et les changements dans les modes de consommation de l’information ont provoqué de nouvelles dynamiques. Plutôt que de regarder le bulletin de nouvelles de 22 h ou de lire le quotidien du matin, un nombre grandissant de personnes s’informent à des moments très aléatoires, dans les médias sociaux ou sur les plateformes électroniques des médias traditionnels. «Dans ce nouvel environnement, la responsabilité de sélectionner les informations, d’en vérifier la validité et de les partager ou non se trouve de plus en plus transférée sur les épaules des gens, qui n’ont pas nécessairement tous les outils pour le faire», remarque Ruth Dassonneville, professeure de science politique à l’Université de Montréal.

Mme Dassonneville s’intéresse au populisme, aux comportements électoraux et à la participation politique. Selon elle, les journalistes ont perdu une partie de leur autorité discursive sur les sujets politiques dans la sphère publique. Ils jouent moins bien leur rôle de filtres et d’analystes de l’information, puisqu’ils peuvent être aisément contournés. Les politiciens qui veulent s’adresser directement aux électeurs peuvent le faire sans passer par les médias traditionnels. Et l’électeur partage ce désir de s’adresser directement aux acteurs politiques.

On voit donc un rapprochement croissant entre les politiciens et les citoyens sur des plateformes comme Facebook ou Twitter. «Il se noue maintenant un réel dialogue à la place du monologue unidirectionnel», note la professeure. Ces interactions nouvelles peuvent parfois occasionner des dérapages, car il arrive que les politiciens soient poussés à réagir rapidement ou à chaud à des faits ou à des propos.

Quel rôle peuvent jouer les chaînes d’information publiques au moment où les médias sociaux rapprochent élus et citoyens? Un rôle important et positif, dit Mme Dassonneville, car les chaînes traditionnelles offrent en général des informations de bonne qualité et, surtout, elles font moins souvent l’objet d’accusations de partisanerie. Au final toutefois, elles ne peuvent jouer leur rôle que si les gens s’abreuvent à de multiples sources d’information. Rien n’est plus périlleux pour la dynamique démocratique qu’une homogénéisation de l’information et l’entre-soi confortable qu’elle introduit.

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