Les sondages sont-ils au diapason de l’opinion publique?

En vue des élections fédérales de l’automne, une multitude de sondages suivront l’évolution de l’opinion publique canadienne.

En vue des élections fédérales de l’automne, une multitude de sondages suivront l’évolution de l’opinion publique canadienne.

Crédit : Getty

En 5 secondes

Au cours des dernières années, les résultats électoraux semblent avoir fait mentir les sondages. La boule de cristal serait-elle brisée? Entretien avec la professeure Claire Durand.

Le 8 novembre 2016, à la surprise générale, le magnat de l’immobilier et vedette de téléréalité Donald Trump est élu président des États-Unis. Les sondages semblaient pourtant avoir prévu une victoire de sa rivale Hillary Clinton. Est-ce vraiment le cas?

«Huit des 13 sondages publiés la dernière semaine de la campagne électorale étaient dans la marge d’erreur, indique Claire Durand. Même si ces sondages donnaient Hillary Clinton gagnante, les résultats étaient en réalité trop serrés pour prédire qui serait élu: le scénario inverse pouvait très bien se produire. Les médias n’ont pas suffisamment tenu compte de la marge d’erreur dans leur analyse de la campagne. Hillary Clinton a finalement eu trois millions de votes de plus que Donald Trump, comme les sondages l’avaient annoncé. C’est à l’échelon des grands électeurs qu’elle a perdu.»

Différentes méthodologies valables

Claire Durand

Crédit : Amélie Philibert

Fiables donc, ces coups de sonde? Si on laisse de côté les sondages improvisés qui sont plus de l’ordre de l’amusement que de la science, il reste les sondages menés par les organismes gouvernementaux et ceux d’opinion publique qui se penchent sur les intentions de vote, les politiques publiques, les comportements des consommateurs, etc. Ces enquêtes sont commandées par des médias, des ministères, des associations, des entreprises, des organisations publiques ou parapubliques. «Une foule de sondages sont effectués et, généralement, la méthodologie est rigoureuse», affirme Claire Durand, qui a dirigé une firme de sondage avant de devenir professeure.

Cela dit, il existe plus d’une méthodologie valable. «Avant, pour qu’un sondage soit fiable, il devait être réalisé par une équipe au téléphone ou en face à face, avec un échantillon probabiliste et un bon taux de réponse, dit Mme Durand. Maintenant, les méthodes sont diversifiées. Les sondages Web et téléphoniques automatisés ont pris beaucoup de place et fournissent habituellement de bonnes estimations de l’opinion publique. Et chaque firme a sa façon d’aller chercher ses échantillons et de compenser les biais.»

Les erreurs qui n’en sont pas…

S’il n’y a pas eu d’erreur méthodologique dans les sondages lors de l’élection de Donald Trump, qu’en est-il de l’élection québécoise d’octobre dernier, où la Coalition Avenir Québec (CAQ) a terminé fortement en avance alors que tous les sondages prévoyaient un résultat serré avec le Parti libéral (PLQ)? «Tous les sondages étaient hors de la marge d’erreur et tous avaient sous-estimé les appuis à la CAQ et surestimé ceux au PLQ, explique Mme Durand. Ils prédisaient que la CAQ avait une avance de 2 ou 3 points sur les libéraux, alors qu’elle a eu près de 13 points de plus.»

Que s’est-il donc passé? «D’après un sondage postélectoral effectué par Ipsos auprès des répondants de son dernier sondage préélectoral, les discrets, soit ceux qui n’avaient pas révélé leurs intentions de vote, et ceux qui ont changé d’idée à la dernière minute ont voté majoritairement pour la CAQ, mentionne l’experte. De fait, 30 % du vote caquiste est venu de ces deux catégories de répondants. On ne peut donc pas dire que c’est une erreur dans les sondages parce que, au moment où ils ont été faits, ils reflétaient fort probablement l’opinion publique.»

… et les erreurs dont on apprend

N’empêche, de temps en temps, l’industrie du sondage commet des erreurs. Au Québec, d’après Claire Durand, la dernière bévue remonte à 1998, alors qu’on avait prédit une forte avance du Parti québécois. Finalement, le Parti libéral a obtenu un point de pourcentage de plus des votes.

«Les recherches ont montré qu’il y avait eu des changements de dernière minute, mais qu’ils s’annulaient, souligne Mme Durand. C’était donc une erreur réellement attribuable à la méthodologie.»

Les sondages électoraux sont particulièrement importants pour l’industrie, puisqu’ils sont les seuls qu’on puisse vraiment valider. «Dans l’histoire, plusieurs erreurs dans les sondages électoraux ont amené une révision de la méthodologie qui a servi l’ensemble de l’industrie», indique Claire Durand.

Elle croit que cette rigueur fait en sorte que le public a généralement confiance dans les sondages. «Mais c’est certain que, lorsque les résultats d’élections sont surprenants, les gens se demandent ce qu’il s’est passé avec les sondages, constate-t-elle. Il faut l’expliquer afin que les gens puissent faire la différence entre des erreurs dans les sondages et des mouvements de dernière minute dans l’opinion publique. Les erreurs sont rares maintenant.»

Comment déceler les fausses pistes?

Si les sondages se trompent peu, dans quelles circonstances risquent-ils le plus de tomber dans l’erreur? C’est la grande question sur laquelle Claire Durand commence à se pencher.

«Il est encore trop tôt pour dire que nous avons des pistes, mais on sait par exemple que les gens qui votent à droite refusent plus souvent de révéler leurs intentions de vote, donc que les appuis de la droite sont en général sous-estimés», affirme-t-elle.

Elle s’apprête aussi à suivre avec intérêt la campagne électorale fédérale et, bien sûr, les nombreux sondages qui seront produits.

«Depuis 1997, nous sommes habitués à de grands mouvements de l’opinion publique pendant les campagnes électorales fédérales, note-t-elle. Comme la vague orange en 2011, où l’appui au Nouveau Parti démocratique au Québec était passé de 23 à 43 % dans les deux dernières semaines de la campagne, un mouvement qui a d’ailleurs été très bien prédit par les sondages. Ou en 2015, alors que le Parti libéral avait commencé troisième dans les intentions de vote et avait fini premier. Jusqu’à maintenant, même si les appuis au Parti conservateur sont souvent légèrement sous-estimés, les issues des élections fédérales ont été assez bien prédites.»

Est-ce que cette campagne électorale fera mentir les experts? C’est à suivre. Et à valider le jour du scrutin.

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