Quand «matante» est aussi mère porteuse

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  • Le 27 mai 2019

  • Mathieu-Robert Sauvé
Actuellement, au Canada, des femmes portent des enfants qu’elles remettront à la naissance à un couple qui leur en a fait la demande.

Actuellement, au Canada, des femmes portent des enfants qu’elles remettront à la naissance à un couple qui leur en a fait la demande.

Crédit : Getty

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Un chercheur présente au 87e Congrès de l’Acfas les résultats de son doctorat à l’UdeM sur l’expérience des mères porteuses et des donneuses d’ovules.

Actuellement, au Canada, des femmes portent des enfants qu’elles remettront à la naissance à un couple qui leur en a fait la demande. «Le nombre de mères porteuses est inconnu ‒ il est actuellement difficile de mesurer l’ampleur du phénomène de la gestation pour autrui [GPA] au pays ‒, mais c’est une réalité de plus en plus documentée; moi-même j’en ai rencontré une quinzaine dans le cadre de mon étude», explique Kévin Lavoie, qui met actuellement la dernière main à sa thèse de doctorat en sciences humaines appliquées à l’Université de Montréal.

À l’occasion du 87e Congrès de l’Acfas, qui se déroule cette semaine à Gatineau, le chercheur présente deux conférences sur ce sujet qui force à redéfinir certains cadres de la maternité et de la parentalité. Dans la première, il traite d'un sujet peu exploré, soit le consentement des donneuses d’ovules et des mères porteuses. Dans la seconde, il aborde la mise en récit des origines et les liens familiaux en contexte de GPA. Le titre de sa conférence s’appuie d’ailleurs sur un propos tiré de ses entretiens, menés entre 2015 et 2017: «Tu étais dans la bedaine de matante.»

«Il arrive que les mères porteuses gravitent dans l’entourage des parents d’intention. Il peut s’agir d’une amie du couple, d’une sœur ou d’une cousine par exemple», dit le chercheur. Le «recrutement» peut aussi se faire par des agences privées ou par l’entremise de réseaux comme Facebook. Mais il faut savoir que la législation en matière de maternité de substitution n’est pas la même au Québec que dans le reste du Canada. En vertu de l’état actuel du droit, les contrats de GPA ne sont pas reconnus au Québec; ils sont considérés comme nuls. Résultat, des couples d’ici font affaire avec des agences basées dans d’autres provinces ou encore outre-frontière; l’inverse est également observé.

Qu’est-ce qu’une mère?

Sans évacuer l’aspect légal ou éthique de la question, Kévin Lavoie était surtout intéressé par ses répercussions familiales et sociales. Formé en travail social (baccalauréat et maîtrise), il a découvert les visages de la maternité que ces nouveaux modèles font émerger.

«Je peux résumer mes intérêts de recherche de la manière suivante: comment les femmes directement concernées se représentent-elles la maternité? Quelles relations construisent-elles durant le processus menant à la naissance de l’enfant?» Sa recherche a été dirigée par Isabel Côté, professeure associée à l’École de travail social de l’UdeM et professeure agrégée au Département de travail social de l’Université du Québec en Outaouais.

Qu’est-ce qui pousse une femme à porter l’enfant d’une autre pendant neuf mois? Posée ainsi, la question fait réagir vivement le doctorant. «On s’interroge souvent sur la santé mentale des mères porteuses; ce faisant, on sous-entend de manière pernicieuse qu’elles sont instables sur le plan émotionnel. Or, la réalité est tout autre. Leurs motivations sont multiples, ajoute-t-il. Selon les propos que j’ai recueillis, certaines veulent revivre une grossesse. Elles aiment cet état corporel. D’autres souhaitent permettre à des femmes infertiles de vivre la maternité ou à des couples gais de fonder une famille.»

Les risques associés à la grossesse ne sont pas exempts des considérations, mais ils ne sont pas un obstacle insurmontable, semble-t-il. Et il y a la question délicate de la rétribution. «Au Canada, les pratiques commerciales sont interdites. Toutefois, le remboursement de certaines dépenses est permis en vertu de la loi fédérale sur la procréation assistée.» Or, qu’est-ce qu’un remboursement raisonnable? «Là-dessus, il n’y a pas consensus chez les femmes que j’ai rencontrées», mentionne le chercheur.

Une thèse qui éclaire

Selon le lauréat d’une bourse Vanier (l’une des plus prestigieuses du Canada pour des études supérieures), la thèse qu’il déposera dans quelques semaines éclaire de plusieurs manières les définitions de la maternité introduites par la GPA et le don d’ovules. Elle lève le voile sur les liens relationnels entre les différentes parties et aborde les négociations entre elles, ainsi que certains enjeux quant au consentement nécessaire pour établir une entente. Quatre étapes marquent la relation entre les femmes concernées: l’engagement dans le processus, la négociation de l’entente, sa mise en pratique et, finalement, la construction du récit entourant les circonstances de la naissance de l’enfant.

Grâce à l’accès direct aux mères porteuses, aux donneuses d’ovules et aux mères d’intention, la thèse documente également plusieurs aspects du processus, notamment après la naissance de l’enfant. «Qu’est-ce qu’on dit à l’enfant? Quand? Comment? De quelle façon intègre-t-on la mère porteuse ou la donneuse d’ovules dans la genèse familiale? Dans la vaste majorité des cas, cela se passait très bien. La mère porteuse est connue de l’enfant et est parfois présente à ses anniversaires.»

Mais ce qui a le plus étonné le chercheur au cours de ses travaux, c’est le don d’ovules, une pratique méconnue et peu discutée tant dans la société que dans la communauté scientifique. Une démarche invasive, risquée et coûteuse. «Cette pratique de procréation assistée est assez récente. Née dans les années 80 avec le perfectionnement de la fécondation in vitro, elle consiste en une ponction des ovocytes peu nombreux et difficiles d’accès. Ce qui amène les femmes à s’y prêter est assez remarquable et mérite qu’on s’y arrête à la fois sur le plan relationnel et sur celui des enjeux pour leur santé. Ma recherche a permis de documenter l’expérience des donneuses, un sujet sur lequel la littérature est assez peu diserte.»

Déjà lancé dans un postdoctorat en sciences infirmières au Centre d’études et de recherche en intervention familiale de l’Université du Québec en Outaouais, Kévin Lavoie poursuit sa recherche amorcée au doctorat en se penchant cette fois-ci sur l’expérience des pères des enfants ainsi nés et des partenaires de vie des mères porteuses, de même que sur l’expérience de leurs enfants.

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recherche ACFAS sciences humaines