Viols collectifs en République démocratique du Congo: le Dr Denis Mukwege lance un cri du cœur

  • Forum
  • Le 10 juin 2019

  • Martin LaSalle
En plus de soigner les victimes de viols collectifs à l'hôpital général de référence de Panzi, qu'il a fondé en République démocratique du Congo (RDC), le Dr Denis Mukwege lutte pour que les 617 crimes contre l'humanité survenus entre 1993 et 2003 en RDC et décrits dans un rapport de l'ONU ne restent pas impunis.

En plus de soigner les victimes de viols collectifs à l'hôpital général de référence de Panzi, qu'il a fondé en République démocratique du Congo (RDC), le Dr Denis Mukwege lutte pour que les 617 crimes contre l'humanité survenus entre 1993 et 2003 en RDC et décrits dans un rapport de l'ONU ne restent pas impunis.

Crédit : Amélie Philibert

En 5 secondes

De passage à l’UdeM, le Dr Denis Mukwege, Prix Nobel de la paix en 2018, a plaidé la cause des femmes victimes de viols collectifs par des groupes armés en République démocratique du Congo.

«Lorsqu’une femme se fait violer, puis torturer par un groupe pouvant aller de 3 à 15 hommes, elle a besoin d’être soignée de façon holistique, ce qui implique des soins à la fois physiques et psychologiques, ainsi qu’un soutien socioéconomique et juridique pour qu’elle reprenne le contrôle de sa vie: c’est ce que nous faisons du mieux que nous pouvons à l’hôpital général de référence de Panzi.»

Voilà ce qu’a déclaré le Dr Denis Mukwege, Prix Nobel de la paix en 2018, au cours d’une conférence prononcée à l’École de santé publique de l’Université de Montréal (ESPUM). Il a lancé un cri du cœur afin que la communauté internationale se mobilise pour que cessent les violences faites aux Congolaises et à l’ensemble des populations du pays.

La visite du Dr Mukwege a aussi permis la signature d’une entente entre l’UdeM et la Fondation Panzi RDC, dont le conseil d’administration est présidé par le médecin.

Des actes répulsifs

En devenant médecin, Denis Mukwege voulait combattre le fléau des décès chez les femmes en couches: en République démocratique du Congo (RDC), 7 femmes sur 1000 meurent des suites d’un accouchement – un des pires taux dans le monde. «C’est tellement une fatalité que des femmes font leur testament avant d’accoucher», a-t-il souligné gravement.

C’est en 1999, trois ans après avoir lui-même échappé à la mort alors que la guerre éclatait en RDC, que le Dr Mukwege a ouvert l’hôpital général de référence de Panzi, dans sa ville natale de Bukavu, pour poursuivre sa mission de sauver les femmes enceintes.

Mais la première patiente qu’il a reçue en salle d’opération n’était pas enceinte. «On l’avait attaquée dans les environs: on avait détruit son appareil génital avec une arme à feu, elle avait plusieurs blessures et des fractures, raconte-t-il. J’étais abasourdi, mais je croyais à un acte isolé de la part d’un fou.»

Or, ce type de violence s’est non seulement répété, mais il a pris de l’ampleur: depuis 1999, il a soigné 55 000 femmes victimes de viols collectifs ou de violences sexuelles, perpétrés par des groupes armés sans pitié: la plus jeune victime soignée par le Dr Mukwege est un bébé de six mois; la plus âgée avait autour de 80 ans…

«Ces viols se font en public, souvent devant les enfants et les voisins, se désole le Dr Mukwege. On oblige parfois les maris à assister aux actes ignobles de torture des femmes après le viol, avec introduction d’objets contondants ou brûlants dans l’appareil génital, des coups de feu…»

Le viol collectif comme arme de guerre

Les viols collectifs ont d’innombrables conséquences sur les communautés où ils sont commis.

Selon le Dr Mukwege, le premier effet est le déplacement massif des populations. «Les femmes et les maris sont stigmatisés dans leur communauté, indique-t-il. L’homme s’enfuit pour rechercher l’anonymat, car n’ayant pu protéger sa femme, il ne se considère plus comme un homme; la femme et les enfants s’enfuient pour leur part à la recherche de sécurité et pour éviter la stigmatisation.»

La destruction des organes génitaux des femmes a aussi pour conséquence de réduire la démographie des collectivités touchées. Sans compter que certaines deviennent porteuses du VIH, «qui entraînera une mort lente, qu’on attribuera à une mort naturelle». Et de nombreuses autres infections transmises sexuellement peuvent aussi diminuer la possibilité de se reproduire lorsqu’elles ne sont pas traitées.

Ensuite, ces viols sont accompagnés du pillage des ressources des communautés, qui détruit leur capacité économique. «On pille les récoltes, l’or, le coltan des mines et les biens des maisons, puis on brûle ce qu’on ne peut emporter», décrit le Dr Mukwege.

Enfin, les viols collectifs causent le déchirement du tissu social. «Les traumatismes provoquent la disparition de symboles, relève Denis Mukwege. Le pasteur n’est plus pasteur, l’époux n’est plus époux, la femme n’est plus une femme: il y a une dissociation totale et une perte d’identité individuelle et collective.»

C’est pourquoi il insiste sur le fait que le viol collectif est une «arme de guerre redoutable à laquelle il faut mettre fin: lorsqu’on viole 200 femmes d’un même village dans une nuit, c’est une opération planifiée et, quand c’est perpétré en présence des proches des victimes, on crée des traumatismes physiques, psychologiques et collatéraux qui disloquent les familles», déplore-t-il.

Soigner le corps et l’âme: une mission holistique

Prix Nobel de la paix en 2018, le Dr Denis Mukwege a été chaudement applaudi à l'issue de la conférence qu'il a prononcée.

Crédit : Amélie Philibert

La réponse de l’hôpital général de référence de Panzi a été de donner des soins holistiques, c’est-à-dire d’offrir des soins et un accompagnement qui tiennent compte de l’ensemble des éléments qui contribuent à la santé d’une personne.

«Lorsqu’une victime se présente, elle est reçue par une “maman chérie” qui la prend sous son aile et qui la dirige vers les services dont elle aura besoin pour reprendre sa vie en main: elle n’a pas à raconter son histoire deux fois», explique le gynécologue.

La prise en charge de la santé physique et reproductive s’effectue en considérant les aspects médicolégaux de la situation: un certificat médical détaillé est produit ‒ photo à l’appui ‒ afin qu’il puisse servir à une éventuelle poursuite contre les agresseurs.

Sur le plan psychologique, les victimes sont orientées vers des assistants psychosociaux, de même que vers des psychologues ou des psychiatres, selon le cas. Mais les besoins sont loin d’être comblés.

«Ça fait 10 ans qu’on attend que les soins psychologiques soient implantés dans les autres hôpitaux, mais il y a une forte résistance des professionnels de la santé, souligne le Dr Mukwege. Plus encore, la notion de santé mentale n’existe pas dans le plan national de développement de la santé du pays.»

L’appui socioéconomique de l’hôpital général de référence de Panzi aux victimes prend la forme d’une aide à la scolarisation, à la définition d’un nouveau profil professionnel et à l’alphabétisation. Pour ce faire, l’établissement soutient des mutuelles et des groupes de solidarité, ainsi que des associations d’épargne et de crédit pour financer des activités génératrices de revenus «visant une prise en charge par la patiente de son avenir et de son autonomie».

Enfin, l’éducation au droit constitue le quatrième pilier de l’action menée par le Dr Mukwege. «Nous apprenons aux femmes les rudiments du droit et nous les accompagnons pendant les procédures et les plaidoyers, et nous militons aussi contre l’impunité des agresseurs», poursuit-il.

Lutter contre l’impunité

L’un des leviers que souhaite activer le Dr Mukwege est celui de la criminalisation des actes des violeurs.

Dans un rapport de 550 pages réalisé par une équipe «mapping» de l’Organisation des Nations unies (ONU) concernant les violations des droits de l’homme, on décrit 617 incidents violents survenus sur le territoire de la RDC entre mars 1993 et juin 2003.

Mais ce rapport n’a eu que très peu d’influence sur le terrain. «Il y a eu quelques condamnations, mais ce n’était que de la poudre aux yeux, mentionne le Dr Mukwege. Ces 617 crimes de guerre requièrent la mise sur pied d’un tribunal pénal international, car les acteurs au pouvoir continuent à produire les mêmes effets.»

«On doit unir nos forces, car ces tragédies nous concernent tous, a-t-il plaidé en conclusion. Il faut que ça cesse, il faut sensibiliser la communauté internationale, rompre le silence et nous soutenir dans la campagne que nous menons afin que les Nations unies demandent au Conseil de sécurité d’agir: on ne peut laisser ces 617 crimes de guerre impunis.»

Une entente de partenariat avec l’UdeM

Le Dr Denis Mukwege et le recteur Guy Breton signent l’entente de collaboration, entourés du Dr Réjean Hébert, doyen de l’École de santé publique de l'Université (ESPUM), de la professeure Marie Hatem, du Département de médecine sociale et préventive de l’ESPUM, et de la Dre Hélène Boisjoly, doyenne de la Faculté de médecine de l’UdeM.

Crédit : Amélie Philibert

La présence du Dr Denis Mukwege à l’Université de Montréal a aussi été l’occasion de concrétiser une entente de partenariat liant l’ESPUM et la Fondation Panzi RDC, qu’il dirige en République démocratique du Congo.

Cette entente de collaboration officialisera la participation de cinq unités de l’UdeM, soit les facultés de médecine, de sciences infirmières, de droit et des arts et des sciences ainsi que l’École de santé publique, à des échanges et des projets de recherche et de formation.

Ainsi, des médecins, des infirmières, des chercheurs, mais aussi des travailleurs sociaux, des gestionnaires de la santé, des juristes et des économistes pourront suivre des formations et des stages de l’UdeM en République démocratique du Congo ou à Montréal.

L’Université de Montréal associera son expertise en formation et en recherche à celle du Dr Mukwege en matière de soutien aux victimes de violences sexuelles.

C’est la professeure de l’ESPUM Marie Hatem qui coordonnera les activités de l’UdeM avec l’hôpital général de référence de Panzi et la Fondation Panzi RDC par l’entremise du projet Hygeia, dont elle assure la direction. Mme Hatem est active en Afrique francophone depuis plusieurs années déjà et, avec son équipe de recherche, maintenant parrainée par le Dr Mukwege, elle conçoit et implante des programmes de formation dans les hôpitaux et d’autres centres de soins travaillant auprès des femmes.

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