Les tortues aussi souffrent de polyarthrite

  • Forum
  • Le 10 juillet 2019

  • Martin LaSalle
Une tortue verte («Chelonia mydas») pensionnaire du Centre de soins de Kélonia.

Une tortue verte («Chelonia mydas») pensionnaire du Centre de soins de Kélonia.

Crédit : Benoît Cruciani

En 5 secondes

En collaboration avec la professeure Claire Grosset, de l’UdeM, le vétérinaire Benoît Cruciani a diagnostiqué et traité des cas de polyarthrite chez des tortues marines de l’île de la Réunion.

Depuis 2013, le personnel du Centre de soins de Kélonia – l’observatoire de tortues marines de l’île de la Réunion – constate que bon nombre de tortues qu’il accueille souffrent de gonflements articulaires.

Ainsi, à l’occasion de deux stages effectués à Kélonia pendant ses études de doctorat, Benoît Cruciani a non seulement découvert que des tortues souffraient de polyarthrite, mais il est aussi parvenu à freiner l'évolution de leur maladie.

C’est ce qui ressort d’une étude qu’il a publiée à partir de sa thèse de doctorat préparée à l’École nationale vétérinaire d’Alfort, en France, également rédigée sous la supervision de la professeure Claire Grosset, de la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal. Cette étude était soutenue par l’Association française des vétérinaires de parcs zoologiques.

Des examens cliniques approfondis

Claire Grosset et Benoît Cruciani

Crédit : Benoît Cruciani

Le Centre de soins de Kélonia dispose d’installations spécialisées pour l’accueil des tortues blessées ou malades. Les tortues sont mises en quarantaine ou isolées dans des bassins pour y être soignées sous contrôle vétérinaire avant d’être relâchées dans leur milieu naturel.

Au cours de son premier stage, en 2015, M. Cruciani a examiné une cinquantaine de tortues marines transportées au Centre de soins de Kélonia, la majorité après avoir été pêchées accidentellement. Ces tortues de l’océan Indien faisaient partie de quatre espèces: les caouannes, les vertes, les imbriquées et les olivâtres.

Parmi elles, 13 montraient des signes de gonflements articulaires, surtout à l’un ou l’autre des coudes de leurs pattes avant.

Le doctorant et l’équipe du centre de soins ont examiné ces tortues de façon approfondie et noté les signes cliniques cutanés, respiratoires, digestifs et nerveux que présentaient ces patientes. Après avoir évalué leur mobilité et leur flottaison, Benoît Cruciani a prélevé des échantillons sanguins et pris des radiographies des articulations affectées. Il a aussi effectué des ponctions de liquide synovial dans certains cas.

Les conditions de captivité sous la loupe

Mesure du diamètre d'une articulation d'une tortue caouanne («Caretta caretta»).

Crédit : Benoît Cruciani

Ces examens ont permis d’observer que les tortues souffraient non seulement d’arthrite localisée mais aussi de polyarthrite (qui touche plusieurs articulations). Et l’apparition de la maladie – surtout attribuable à des infections d’origine bactérienne – survenait en moyenne après environ deux ans de captivité à Kélonia. Les causes de l’apparition de l’infection demeurent inconnues, mais celle-ci était souvent accompagnée d’une perte de poids et d’appétit chez les individus affectés.

Dans 77 % des cas, c’est l’articulation d’un des deux coudes qui était atteinte, celle-ci étant plus sollicitée lors des manipulations nécessaires pour déplacer l’animal. «Ces manipulations, qui consistaient notamment à saisir les nageoires antérieures pour les plus grosses tortues, ne sont pas à l’origine de la destruction des tissus osseux, mais elles pourraient en exacerber le processus», précise Benoît Cruciani.

À sa demande, le Centre de soins de Kélonia a d’ailleurs modifié ses techniques de déplacement des tortues de façon à réduire les troubles osseux observés chez ces reptiles. On utilise maintenant des civières pour soutenir le corps des tortues et pour diminuer les forces de traction imposées aux articulations des nageoires.

Outre les différents soins donnés aux tortues, le traitement de la polyarthrite consistait à administrer un anti-inflammatoire (le méloxicam) pour accroître le confort et un antibiotique (le florfénicol) pour détruire les bactéries logées dans les articulations.

«Nous avons constaté, sur les radiographies de contrôle, que huit jours de traitement étaient insuffisants, ajoute M. Cruciani. Nous avons quadruplé la durée du traitement pour l’étendre sur un mois, et la détermination de la posologie efficace – effectuée de concert avec la professeure Grosset – s’est faite progressivement.»

Au final, l’administration de cet antibiotique qui détruit les bactéries dans les articulations «a permis de stabiliser – voire d’atténuer – des lésions osseuses dont souffraient la majorité des tortues atteintes de cette maladie à Kélonia», indique le vétérinaire.

Populations menacées d’extinction

Les tortues marines traitées au Centre de soins de Kélonia - ici deux tortues caouannes - sont réinsérées dans leur milieu naturel une fois guéries.

Crédit : Benoît Cruciani

La réhabilitation des tortues marines effectuée dans des centres de soins comme celui de Kélonia ainsi que dans plusieurs autres aux États-Unis et en Amérique du Sud est cruciale dans un contexte où les scientifiques observent une diminution inquiétante des populations de ces animaux partout dans le monde.

«Les tortues marines sont menacées d’extinction pour la plupart, affirme Benoît Cruciani. Or, elles jouent un rôle fondamental dans l’écosystème marin: elles constituent une espèce parapluie, c’est-à-dire une espèce dont le domaine vital est assez vaste pour que sa protection contribue à la sauvegarde des autres espèces qui partagent son écosystème.»

«Plusieurs menaces planent sur les tortues marines, conclut Claire Grosset: certaines se nourrissent surtout de méduses et plusieurs meurent après que leur tube digestif a été bloqué par des sacs de plastique, qu’elles ont pris pour des proies. La hausse de la température des océans pourrait aussi être à l’origine de l’apparition de nouvelles maladies. Dans ce contexte, les centres de réhabilitation de la faune constituent une aide précieuse pour découvrir les problèmes qui touchent les animaux sauvages.»