La science à l'épreuve des faits

Des poissons-demoiselles sur la Grande Barrière de corail en Australie, y compris des espèces utilisées par les chercheurs dans leur étude.

Des poissons-demoiselles sur la Grande Barrière de corail en Australie, y compris des espèces utilisées par les chercheurs dans leur étude.

Crédit : Simon Gingins

En 5 secondes

Des biologistes de l'UdeM mettent en doute des études passées selon lesquelles les poissons tropicaux se comportent étrangement à cause de l'acidification des océans liée aux changements climatiques.

Il est parfois utile de vérifier les faits: les résultats peuvent être surprenants.

Au cours de la dernière décennie, plusieurs études scientifiques abondamment médiatisées ont affirmé que les poissons tropicaux qui peuplent les récifs coralliens subissent l'influence néfaste de l'acidification des océans provoquée par les changements climatiques ‒ ils auraient des comportements étranges et seraient attirés par leurs prédateurs en raison de l'augmentation du taux de dioxyde de carbone dans l'eau, résultat de la pollution atmosphérique.

Toutefois, de nouveaux travaux montrent que tel n'est pas le cas.

De fait, selon l'étude la plus complète à ce jour sur les répercussions de l'acidification des océans sur les poissons des récifs coralliens, étude dirigée par des chercheurs australiens et cosignée par deux chercheurs de l'Université de Montréal dans la revue Nature, le comportement des poissons ne serait aucunement touché par ce phénomène.

«Ces 10 dernières années, de nombreuses études scientifiques réputées ont mis en relief les effets alarmants de l'acidification des océans sur les comportements des poissons des récifs coralliens»; certaines d’entre elles mentionnent que, dans les eaux acidifiées, les poissons sont attirés par l'odeur de leurs prédateurs, rappelle Timothy Clark, auteur principal de l'article et professeur agrégé à la Deakin University's School of Life and Environmental Sciences de Geelong, une ville côtière voisine de Melbourne, en Australie.

Mais en refaisant ces études auprès de bon nombre des mêmes espèces et en analysant les données ainsi obtenues, le professeur Clark et son équipe, composée de chercheurs scandinaves et canadiens ‒ dont Sandra Binning et Dominique Roche, biologistes à l'Université de Montréal ‒, sont parvenus à des résultats fort différents.

En tout état de cause, les résultats originaux n'ont pu être reproduits.

Des comportements invariablement normaux

«Nous nous attendions à ce que les résultats précédents soient aisément reproductibles, puisqu'ils ressortaient de façon claire et convaincante des articles initiaux. Nous avons plutôt constaté des comportements invariablement normaux chez des poissons qui se sont acclimatés au taux de CO2 [prévu] de la fin du 21e siècle dans les océans», explique Timothy Clark.

Mais «en utilisant des méthodes rigoureuses, en mesurant divers comportements chez diverses espèces et en rendant accessibles nos données et nos analyses, nous avons démontré de façon détaillée et transparente que l'acidification des océans avait un effet négligeable sur le comportement des poissons des récifs coralliens», ajoute le chercheur.

«Plus précisément, un taux de CO2 élevé n'a pas d'influence significative sur le niveau d'activité ou la latéralisation comportementale [choix d'orientation gauche-droite] des poissons, pas plus qu'il n'altère leur réaction aux signaux chimiques émis par les prédateurs.»

Cette nouvelle étude promet d'avoir un écho important dans le monde de la biologie marine, croient les auteurs. Non seulement elle contredit les études passées, mais elle montre que la science ne produit pas toujours des résultats susceptibles de renforcer les convictions de la communauté scientifique, comme c'est le cas pour les changements climatiques.

Bien au contraire, même.

Se rapprocher de la vérité

«Certaines personnes seront peut-être surprises par ces conclusions, mais telle est la nature de la science: c'est un processus normal et sain que de mettre en doute les résultats publiés ‒ parfois, ceux-ci tiennent la route, parfois non. En définitive, c'est l'accumulation des preuves qui compte et qui nous rapproche de la vérité», déclare Sandra Binning, professeure adjointe au Département de sciences biologiques de l'UdeM.

Pour la biologiste, les découvertes ne doivent pas être prises pour argent comptant: «En tant que scientifiques, nous devons toujours rester critiques vis-à-vis de ce que nous lisons et de ce que nous voyons. C'est ce qui fait progresser la science.»

«Nous ne prétendons pas que le changement climatique n'est pas un problème, loin de là», mentionne pour sa part Dominique Roche, associé de recherche à l'UdeM. Mais nous croyons que les études de réitération sont très importantes, même si l'acidification des océans et le réchauffement de la planète en général sont des phénomènes établis.»

Timothy Clark renchérit: «Les conséquences néfastes des émissions de CO2 sont bien connues et le réchauffement climatique a d'ores et déjà des effets dévastateurs sur les écosystèmes coralliens dans le monde. L'augmentation de la fréquence des tempêtes et le blanchiment des récifs durant les vagues de chaleur, notamment, entraînent une perte d'habitat dramatique pour les poissons.»

«Par conséquent, malgré nos conclusions, les récifs coralliens et les poissons qu'ils abritent demeurent gravement menacés par l'augmentation du niveau de CO2 dans l'atmosphère.»

Se concentrer sur d'autres questions

Plutôt que de concentrer leur attention sur les effets de l'acidification des océans sur le comportement des poissons, les scientifiques devraient se pencher sur «d'autres aspects des changements climatiques qui nécessitent davantage de recherche» tels que les risques de maladies infectieuses, la destruction des habitats et la diminution du niveau d'oxygène dans l'eau, selon Sandra Binning, titulaire d'une chaire de recherche sur l'écoévolution et les interactions hôte-parasite.

«Compte tenu du peu de temps qu'il nous reste pour lutter contre les changements climatiques, il est absolument vital que les budgets de recherche soient utilisés de la meilleure façon possible et nous aident à mieux comprendre et à mieux cibler les systèmes et les organismes qui courent les plus grands risques», conclut Dominique Roche.

  • Sandra Binning et Dominique Roche à bord d'un petit bateau de recherche à la station de recherche de Lizard Island sur la Grande Barrière de corail, en Australie, où les expériences ont été menées.

    Crédit : Simon Gingins

À propos de cette étude

L'article «Ocean acidification does not impair the behaviour of coral reef fishes», par Timothy D. Clark et ses collaborateurs, a été publié dans la revue Nature le 8 janvier 2020.

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