Des chercheurs mettent l’économie expérimentale au service de la santé publique

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  • Le 6 avril 2020

  • Mathieu-Robert Sauvé
L’enquête vérifiera notamment les connaissances et les croyances des participants sur les mesures de prévention de la pandémie mises en place tel le confinement de la population.

L’enquête vérifiera notamment les connaissances et les croyances des participants sur les mesures de prévention de la pandémie mises en place tel le confinement de la population.

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Des chercheurs veulent appliquer l’économie expérimentale à la gestion de la pandémie de coronavirus.

Des chercheurs de l’Université de Montréal veulent donner l’occasion à des sujets de recherche de participer à des expériences en ligne pour tester les mesures de prévention contre la COVID-19. La somme de base qui leur sera attribuée pour leur participation, environ 30 $, pourra ainsi fructifier ou diminuer selon les choix qu’ils feront. Cela s’appelle l’économie expérimentale.

«Placer des individus devant des choix réels nous permet de contourner un biais cognitif très courant dans les sondages: celui consistant à donner au sondeur les réponses qu’il souhaite entendre», explique Roxane Borgès Da Silva, professeure à l’École de santé publique de l’UdeM et chercheuse au Centre de recherche en santé publique (CRESP) et au Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO).

Dans le cadre d’une enquête, on vérifiera les connaissances et les croyances des participants relativement aux mesures de prévention de la pandémie mises en place et à leurs conséquences. Cette enquête «permettra de connaître leur propre comportement quant aux recommandations des autorités publiques», dit le résumé du projet. Il y aura des expériences qui comprendront des incitatifs financiers pour découvrir des attitudes comme le degré d’aversion des participants vis-à-vis des risques et leur volonté de collaborer à un objectif commun. Ces informations aideront à comprendre leurs réactions en matière de prévention du coronavirus.

Avec les professeurs Nathalie de Marcellis-Warin (Polytechnique Montréal et CIRANO), Claude Montmarquette (Département de sciences économiques et CIRANO), Lucie Richard (Faculté des sciences infirmières et CRESP) et Alexandre Prudhomme, professionnel de recherche au CIRANO et au CRESP, l’économiste a obtenu un budget de développement pour rédiger deux demandes de financement afin de mener son enquête au Québec. Selon les fonds accordés, celle-ci pourrait être étendue au reste du Canada.

Méthode empirique

Roxane Borgès Da Silva

L’économie expérimentale est une approche novatrice et plutôt jeune ‒ ses concepteurs, Vernon Smith et Daniel Kahneman, ont été récompensés en 2002 par le Prix de la Banque de Suède en sciences économiques. Au cours des deux dernières décennies, plusieurs économistes ont appliqué l’approche expérimentale à la problématique des comportements relatifs à la santé et à l’éducation dans les pays en développement. Les membres du projet montréalais seraient parmi les premiers à utiliser cette approche dans le cas de la COVID-19.

Le questionnaire distribué aux répondants ne sera pas plus long et complexe que celui d’un sondage classique; il ne prendra pas plus d’une trentaine de minutes. Les réponses permettront de tracer le profil des sujets: ont-ils tendance à prendre plus de risques que la moyenne? Sont-ils plutôt prudents dans leurs comportements? Ils pourront être amenés à prendre position dans une version adaptée du «jeu du dictateur», consistant à donner une somme d’argent X à une personne A en lui ordonnant de la partager avec B. «De façon un peu contre-intuitive, ce jeu met en relief que seulement la moitié des joueurs n’offrent rien à B et gardent la totalité de l’argent pour eux. Un sur trois, environ, partage la somme équitablement», indique Mme Borgès Da Silva.

Dans la situation actuelle, la population doit faire quotidiennement des choix similaires: pourquoi resterais-je confiné si je ne suis pas contagieux? Et si je suis contagieux, pourquoi me priverais-je d’aller dans un lieu public?

À la jonction de la prévention et de l’économie de la santé, ce projet pourra mener à des recommandations sur les mesures à prendre en fonction des sous-groupes à prioriser et à voir où s’arrête l’effet des mesures incitatives. Les résultats de l’étude, qui portera idéalement sur 3000 à 5000 sujets, pourront s’appliquer à des situations analogues susceptibles de se produire dans l’avenir.

De la guerre à la solidarité

La crise a pris tout le monde par surprise et l’on voit beaucoup de disparités dans les réactions d’un pays à l’autre, mentionne l’économiste. «Dans certains cas, on a fait fi des libertés individuelles au nom du bien public. Ailleurs, on a préféré miser sur la sensibilisation. Pas facile de voir quelles mesures sont les plus efficaces», dit-elle.

D’origine française, Mme Borgès Da Silva souligne que la rhétorique même des représentants de l’État varie grandement. «En France, le président de la République utilise des références militaires dans ses adresses à la nation. C’est la guerre. On fait face à un ennemi sournois qu’il faut vaincre. Au Québec, le premier ministre, François Legault, fait appel à la solidarité des citoyens. Il répète que chacun doit collaborer et qu’ensemble on peut s’en sortir.»

À son avis, les mesures incitatives peuvent être largement suffisantes à condition de savoir comment les appliquer et à qui elles sont destinées. C’est ce que pourrait préciser cette enquête.

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