La pandémie fera reculer l’égalité des sexes dans la famille

  • Forum
  • Le 30 avril 2020

  • Mathieu-Robert Sauvé
Les femmes gagnent encore un salaire moindre que les hommes. Or, si les mères mettent leur carrière sur pause pendant plusieurs mois afin de s’occuper des enfants jusqu’au retour à la normale, ce sont les hommes qui seront avantagés.

Les femmes gagnent encore un salaire moindre que les hommes. Or, si les mères mettent leur carrière sur pause pendant plusieurs mois afin de s’occuper des enfants jusqu’au retour à la normale, ce sont les hommes qui seront avantagés.

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La crise sanitaire fait ressortir la désuétude du droit de la famille, datant de 1980, alors que le mariage constitue le modèle familial dominant.

Alain Roy

Crédit : Christian Fleury

En présidant le Comité consultatif sur le droit de la famille de 2013 à 2015, le juriste Alain Roy, professeur à la Faculté de droit de l’Université de Montréal, a orchestré la grande réforme du droit de la famille qui devait être appliquée dans les prochains mois par le gouvernement du Québec… jusqu’à ce qu’éclate la pandémie de COVID-19. Le report de cette échéance ‒ à moins d’un miracle ‒ le désole d’autant plus que la crise pourrait faire reculer les acquis de l’égalité des sexes. Il répond aux questions d’UdeMNouvelles.

Comment les acquis de l’égalité des sexes pourraient-ils être touchés par la situation actuelle?

Comme la réouverture des écoles sera graduelle et non obligatoire ‒ le gouvernement a beaucoup insisté là-dessus ‒, on peut s’attendre à ce que plusieurs parents prennent la décision de reporter le déconfinement à l’automne, peut-être même après. Or, la personne qui risque le plus de rester à la maison pourrait être la mère. Au fond, les femmes gagnent encore un salaire moindre que les hommes. Si les mères mettent leur carrière sur pause pendant plusieurs mois afin de s’occuper des enfants jusqu’au retour à la normale, ce sont les hommes qui seront avantagés. Leur richesse continuera de s’accroître et leur accession sociale va se poursuivre. Si une rupture survient dans quelques années, les mères qui étaient en union de fait vont se retrouver en situation précaire, puisque le droit de la famille ne leur accorde aucune protection légale.

Cette lecture féministe des effets du confinement est soutenue par plusieurs experts à l’échelle internationale, comme je l’ai indiqué dans un texte paru dans La Presse+ récemment. Le 9 avril, des membres des conseils consultatifs sur l’égalité des sexes du G7 ont imploré les États membres de l’organisation «de mener des actions concertées pour empêcher la dégradation de l’égalité et le recul des droits des femmes dans le monde». Un rapport de l’ONU publié quelques jours plus tard soulignait que les gains réalisés au cours des dernières décennies sur les questions de l’égalité des sexes risquaient d’être annulés par le grand confinement.

Et c’est sans parler de la violence familiale, dont les femmes font très largement les frais, qui a connu une hausse depuis l’instauration des mesures de confinement.

De quelle façon la pandémie révèle-t-elle la désuétude du droit de la famille?

Les familles, en 2020, ont de multiples formes dont le droit de la famille du Québec, qui n’a pas été réformé en profondeur depuis 40 ans, ne parle pas. Par exemple, près de 40 % des couples québécois vivent aujourd’hui en union de fait et plus de 60 % des enfants naissent hors mariage. Malgré ces chiffres, le droit de la famille s’articule encore et toujours autour du mariage. Il y a longtemps que la situation stagne. À la conclusion de l’affaire Lola contre Éric, en 2013, qui soulevait la question des effets de l’union libre chez les couples, la Cour suprême du Canada a lancé un message très clair au législateur québécois: il faut adapter le droit de la famille aux nouvelles réalités sociales. Quelques mois après le jugement, le gouvernement de Pauline Marois a saisi la balle au bond en créant le Comité consultatif sur le droit de la famille. Malheureusement, le gouvernement libéral de Philippe Couillard n’a pas pris le relais après son élection, le rapport déposé par le Comité en 2015 ayant été tabletté. Quant à l’actuelle ministre de la Justice, Sonia Lebel, elle a pris les choses en main au lendemain de sa nomination. Deux projets de loi étaient prévus pour assurer la mise en œuvre de la réforme, le premier portant sur la filiation des enfants, le second sur la conjugalité, incluant notamment la question du droit des parents en union de fait.

Qu’est-ce que le gouvernement aurait dû faire?

Dans la tourmente actuelle, on peut comprendre que le cabinet de François Legault ait d’autres priorités que la réforme du droit de la famille. Cela n’aidera en rien les mères non mariées exposées aux répercussions économiques de la crise sanitaire qui ne pourront bénéficier des effets de la réforme à venir.

Il n’est pas normal qu’en 2020 la porte d’entrée du droit de la famille soit le mariage. La forme juridique de l’union conjugale devrait être sans importance; c’est la présence d’enfants au sein du couple qui devrait s’avérer légalement déterminante.

Je crois que le gouvernement aurait pu être plus rapide dans la mise en application du chantier menant à la réforme du droit de la famille. On a vu, avec la Loi sur la laïcité de l’État, qu’il pouvait être capable d’aller de l’avant rapidement si un projet était jugé prioritaire!

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