Loi de compensation: un dilemme scientifique vieux de 120 ans est résolu

La loi de compensation permet de comprendre, entre autres, comment la dégradation du pont Champlain est survenue à l'échelle des atomes.

La loi de compensation permet de comprendre, entre autres, comment la dégradation du pont Champlain est survenue à l'échelle des atomes.

Crédit : Getty

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Sous la direction de Normand Mousseau, du Département de physique de l’UdeM, le postdoctorant Simon Gelin a résolu un dilemme scientifique vieux de 120 ans, soit celui de la loi de compensation.

Qu’il s’agisse de la pale d’un moteur d'avion, du béton armé qui soutient un pont ou du magnésium composant le cadre d'un vélo de compétition, la plupart des matériaux qui nous entourent sont formés d’alliages. Or, les propriétés de ces matériaux sont facilement perturbées par le mouvement des atomes qui se produit à une échelle microscopique.

Lorsqu’un atome se déplace, il crée un espace dans lequel des impuretés peuvent s’insérer et s’assembler pour créer un défaut susceptible de causer des dommages aux alliages. Un exemple? Sur l’ancien pont Champlain, la diffusion d’atomes qui composent l’eau et le sel jusqu’à l’intérieur des câbles d’acier: réagissant avec des atomes de fer, ils ont transformé les câbles en rouille au fil des années, ce qui a fait craquer le béton… et entraîné la fermeture prématurée du pont.

Toutefois, les mouvements d’atomes sont aussi ce que recherchent les métallurgistes qui, depuis des millénaires, ont appris à «manier» ces défauts afin d’obtenir la dureté ou la flexibilité recherchées… sans savoir que ce sont des mouvements d’atomes qui leur permettent de réaliser différents alliages.

«Par exemple, l’aluminium est un métal très cassant: pour obtenir des canettes de bière ou de boissons gazeuses, il est mélangé, entre autres, avec d’infimes quantités de silicium et de cuivre pour lui procurer la flexibilité voulue», illustre le professeur Normand Mousseau, du Département de physique de l’Université de Montréal.

De la loi d’Arrhenius à la loi de compensation

Normand Mousseau

Crédit : Amélie Philibert

Les premiers éclairages scientifiques sur ce phénomène remontent à la fin du 19e siècle. En 1889, Svante August Arrhenius a établi que la variation de la vitesse d'une réaction chimique est fonction de la température à laquelle les éléments sont soumis, selon une loi exponentielle qui porte son nom.

Les données expérimentales qui s’accumulent depuis plus de 120 ans ont aussi montré une relation surprenante: au-delà d’une certaine température, les défauts ou impuretés qui franchissent les seuils les plus élevés ‒ donc à priori les plus difficiles à traverser ‒ se mettent à bouger plus vite que ceux qui franchissent les barrières les plus basses.

«Cette observation mystérieuse est si commune qu’on l’appelle souvent loi de compensation, indique Normand Mousseau. Elle implique qu’un paramètre caché compense l’augmentation de l’énergie d’activation en facilitant de plus en plus le franchissement des barrières à mesure qu’elles augmentent.»

Une découverte grâce au traitement de données massives

Malgré de nombreuses tentatives d’explications, l’origine physique de ce phénomène a échappé aux chercheurs pendant de nombreuses décennies, incapables qu’ils étaient d’établir un lien clair entre les propriétés des matériaux et la cinétique ‒ ou mouvement de la matière ‒ des défauts.

Or, dans un article publié récemment dans Nature Communications, le chercheur postdoctoral Simon Gelin, l’étudiant Alexandre Champagne et le professeur Mousseau ont levé le voile sur cette question qui relève de la physique fondamentale.

En s’appuyant sur des algorithmes de simulation de pointe capables de produire des millions de mouvements différents d’atomes dans des matériaux complexes tels le silicium amorphe et les verres métalliques, ils ont démontré que «cette compensation est un phénomène statistique dû à l’affaiblissement des liaisons chimiques alors que les impuretés atteignent le maximum de la barrière, causant un ramollissement des modes de vibration thermique», commente Normand Mousseau.

«Les chercheurs précédents ne pouvaient étudier que quelques barrières de diffusion, poursuit-il. Grâce à nos outils, nous en avons créé des millions et, en utilisant le traitement de données massives, nous avons pu reproduire les paramètres de cette compensation et même repérer des cas où la loi ne tient pas.»

Ainsi, ils ont découvert que la loi de compensation n’est pas valide si l’on cherche à l’observer mécanisme par mécanisme, mais elle l’est en s’appuyant sur les moyennes.

«La résolution de ce problème vieux de plus d’un siècle ouvre la porte à un meilleur contrôle de l’élaboration et de l’évolution des matériaux en permettant la création, par exemple, d’alliages moins coûteux et moins polluants qui réduiront les dommages», conclut Normand Mousseau.

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