Une ITS qui n’a pas froid aux yeux

À titre d’ophtalmologiste au Centre universitaire d’ophtalmologie de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, la Dre Marie-Josée Aubin est régulièrement confrontée à des cas de syphilis, puisque la maladie peut également toucher les yeux.

À titre d’ophtalmologiste au Centre universitaire d’ophtalmologie de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, la Dre Marie-Josée Aubin est régulièrement confrontée à des cas de syphilis, puisque la maladie peut également toucher les yeux.

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En 5 secondes

Les cas de syphilis sont en hausse au Québec et les médecins doivent en être conscients, selon Marie-Josée Aubin, professeure à la Faculté de médecine de l'UdeM.

Marie-Josée Aubin

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Associée à des personnages célèbres tels que Baudelaire, Verlaine et Maupassant, la syphilis semble être une maladie d’une autre époque.

Pourtant, l’infection transmissible sexuellement (ITS) gagne du terrain au Canada et au Québec depuis le début des années 2000. En 1998, seulement 3 cas avaient été déclarés au Québec contre 918 en 2017. Entre 1999 et 2015, le taux d’infection chez les hommes a augmenté de 17 000 %.

La Dre Marie-Josée Aubin, professeure au Département d’ophtalmologie de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal et au Département de médecine sociale et préventive de l’École de santé publique de l’UdeM, veut enrayer cette recrudescence.

À titre d’ophtalmologiste au Centre universitaire d’ophtalmologie de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont (CUO-HMR), la Dre Aubin est régulièrement confrontée à des cas de syphilis, puisque la maladie peut également toucher les yeux.

En réaction à la résurgence observée depuis les années 2000, son équipe et elle ont entrepris une revue de tous les cas de syphilis oculaire évalués dans deux centres de soins tertiaires en ophtalmologie de Montréal, le CUO-HMR et le Centre hospitalier de l’Université de Montréal. Cette étude visait à mieux décrire la démographie, la présentation clinique, la proportion de co-infections par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) et le traitement des patients atteints de syphilis oculaire.

En publiant ce qui apparaît comme la plus importante série de cas de syphilis oculaire au Canada dans le Canadian Journal of Ophthalmology, la Dre Aubin et son équipe souhaitent une amélioration dans la prise en charge de cette maladie et une conscientisation des professionnels de la santé.

«De nos jours, les médecins n’ont plus l’habitude de voir des cas de syphilis, donc la maladie peut ne pas être détectée pendant une longue période au cours de laquelle les patients peuvent souffrir de complications, qu’elles soient oculaires ou autres.»

La championne de la mascarade

Causée par la bactérie Treponema pallidum, aussi appelée tréponème pâle, la syphilis est une affection fréquemment confondue avec de nombreuses autres maladies. Ses manifestations cliniques sont multiples et la plupart ne sont pas spécifiques, ce qui peut causer un retard, voire une erreur de diagnostic.

Sir William Osler, médecin canadien considéré comme le père de la médecine moderne, disait d’ailleurs: «Si vous connaissez la syphilis, vous connaissez la médecine.» Cela faisait référence à la grande portée que la bactérie Treponema pallidum peut avoir sur l’ensemble des systèmes du corps.

Dans ses manifestations oculaires, l’ITS se présente comme toute autre maladie inflammatoire, ce qui est souvent déconcertant pour les cliniciens, qui ne penseront pas toujours à demander un test de dépistage de la syphilis. «La syphilis oculaire peut faire son apparition à n’importe lequel des trois stades symptomatiques de l’infection et elle peut toucher presque toutes les parties de l’œil, même si l’uvée est la région la plus fréquemment atteinte», explique la Dre Aubin. 

La syphilis peut causer une myriade de troubles oculaires, de l’uvéite antérieure à la vascularite rétinienne en passant par la neuropathie optique. La syphilis oculaire est considérée comme une forme de neurosyphilis, une atteinte syphilitique du système nerveux central, et nécessite donc un traitement plus long que les autres types de syphilis.

Revoir le dépistage

Si la syphilis se traite assez facilement grâce à des injections intramusculaires ou intraveineuses de pénicilline, encore faut-il que le médecin sache que le patient est infecté. «Lorsqu’on pense au dépistage des ITSS [infections transmissibles sexuellement et par le sang], très souvent, on pense principalement à celui de la gonorrhée et de la chlamydia», déplore la Dre Aubin, qui met également en garde contre les méthodes diagnostiques qui peuvent entraîner des faux négatifs.

Le diagnostic de la syphilis repose sur des analyses sanguines qui détectent les anticorps antitréponème; certaines sont propres au tréponème et d’autres non. Pour confirmer le diagnostic, on combine généralement un test spécifique avec un test non spécifique.

Toutefois, ces tests peuvent être négatifs dans les sept premiers jours de l’infection, alors qu’ils seront toujours fortement positifs au second stade de l’infection, soit jusqu’à six mois après la transmission de la bactérie.

Ainsi, la Dre Aubin et son équipe considèrent que, étant donné la pluralité des manifestations cliniques, le test de dépistage de la syphilis doit faire partie du bilan de dépistage de toute inflammation oculaire. Elles croient également que tous les patients atteints de syphilis oculaire doivent subir une ponction lombaire pour une analyse du liquide cérébrospinal.

L’ophtalmologiste soutient de plus que, en raison du risque d’infection concomitante par le VIH dans la syphilis oculaire, «le dépistage du VIH doit être effectué chez tous les patients présentant une syphilis soupçonnée ou diagnostiquée, et vice versa».

Pour une prise en charge plus complète

Outre un dépistage accru, la Dre Aubin milite pour une prise en charge des patients plus holistique. «Des rendez-vous de suivi réguliers et des conseils relatifs aux comportements à adopter devraient être donnés à tous les patients, précise-t-elle. Aussi, le traitement des partenaires est crucial, il doit être instauré rapidement.»

La Dre Aubin rappelle que, comme la syphilis est une ITS systémique, une approche multidisciplinaire incluant des experts en ophtalmologie, en maladies infectieuses et en neurologie devrait être mise en place pour assurer un suivi optimal des patients.