Le pergélisol pourrait devenir un émetteur d’oxyde nitreux plus important qu’on le croyait

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  • Le 10 novembre 2020

  • Martin LaSalle
Photo aérienne d'un affaissement de terrain d'un diamètre d'environ 75 mètres attribuable au dégel du pergélisol dans les environs d'Inuvik, dans les Territoires du Nord-Ouest.

Photo aérienne d'un affaissement de terrain d'un diamètre d'environ 75 mètres attribuable au dégel du pergélisol dans les environs d'Inuvik, dans les Territoires du Nord-Ouest.

Crédit : Evan J. Wilcox, Université Wilfrid-Laurier.

En 5 secondes

Avec le réchauffement climatique, les zones de pergélisol pourraient émettre une quantité d’oxyde nitreux plus grande qu’anticipée, selon une revue d’études menée par Carolina Voigt, de l’UdeM.

Le pergélisol des régions arctiques, antarctiques et alpines couvre de 20 à 25 % de la surface terrestre et les sols qui le composent emmagasinent de grandes quantités de carbone et d'azote liés à la matière organique.

Cependant, les émissions d’oxyde nitreux (N2O) qui y sont associées pourraient représenter jusqu’à 7,1 % des émissions mondiales annuelles de ce puissant gaz à effet de serre en raison du réchauffement climatique. Un taux beaucoup plus important que ce que croyaient les scientifiques.

C’est là une évaluation approximative faite par une équipe internationale de chercheurs qui a synthétisé pour la première fois la quantité d’émissions globales de N2O issues des régions où il y a du pergélisol. Cela inclut tant les endroits gelés en permanence que ceux qui subissent un dégel en surface lors de la saison chaude.

Publiée dans les Nature Reviews Earth and Environnement, cette synthèse de 47 études a été dirigée par Carolina Voigt, chercheuse postdoctorale de l’Université de l’est de la Finlande et chercheuse invitée au Département de géographie de l’Université de Montréal.

Une estimation prudente

Carolina Voigt

Les études analysées portent sur les données obtenues au cours des dernières années grâce à 123 points de données de captation de flux d’oxyde nitreux dispersés dans les différents écosystèmes du pergélisol de la planète.

Ainsi, les données montrent que, pendant la saison de croissance de la végétation (100 jours), les émissions de N2O du pergélisol pourraient représenter de 0,4 à 3,5 % des émissions mondiales annuelles, selon les régions. Sur une base annuelle, les émissions sont évaluées approximativement à 7,1 %.

Indépendamment de la couverture végétale, les tourbières ont généralement les émissions de N2O les plus élevées parmi les écosystèmes naturels du pergélisol, suivies des hautes terres, tandis que les zones humides en émettent des quantités négligeables.

«Notre estimation est fondée sur relativement peu de points de données et qui affichent en outre une grande variabilité, insiste l’auteure principale de la synthèse. De plus, elle ne prend pas en compte la rétroaction potentielle d'un bassin d’azote du sol en décongélation et n'inclut pas les émissions des plans d'eau tels les lacs, qui sont des sources importantes de N2O dans la région boréale et en Antarctique.»

Et bien que les rejets d'oxyde nitreux à partir du pergélisol paraissent minimes à première vue, ils risquent d’augmenter considérablement avec le réchauffement climatique.

«Déjà, le réchauffement a provoqué un déclin de l’étendue des glaces de mer et des couverts neigeux du printemps dans les cercles polaires et les hautes terres, attribuable à une augmentation de la température moyenne de 0,29 ºC depuis 2007», souligne Carolina Voigt.

Or, avec une hausse de 2,6 ºC anticipée par les experts du climat, les modèles prédisent une perte de 52 % de l’ensemble du pergélisol d’ici l’an 2100, ce qui entraînera des émissions d’oxyde nitreux encore inconnues mais inquiétantes. 

Il importe de rappeler que, sur un horizon de 100 ans, ce gaz à effet de serre renferme un potentiel de réchauffement qui est 300 fois plus grand que le dioxyde de carbone émis par les grandes industries, les véhicules à moteur et les régions du pergélisol.

Un potentiel d’émission qui reste à préciser

Oliver Sonnentag

La synthèse, à laquelle a contribué le professeur de géographie Oliver Sonnentag, de l’UdeM, décrit aussi le cycle d’azote souterrain dans les régions du pergélisol. De même, elle examine les conditions environnementales qui influencent la dynamique du N2O, dont les changements climatiques et les évènements météorologiques qu’ils causent.

Si le dégel du pergélisol risque de se traduire par de fortes émissions d’oxyde nitreux, Carolina Voigt et Oliver Sonnentag soutiennent qu’il reste à les quantifier de façon plus précise.

«Notre analyse montre que l’oxyde nitreux, en plus du dioxyde de carbone et du méthane, doit également être pris en compte dans les bilans de gaz à effet de serre lors de l'évaluation de la rétroaction entre les sols gelés en permanence et l'atmosphère», concluent-ils.

Pour ce faire, il faut davantage d’installations capables de mesurer les flux de N2O entre la surface terrestre et l’atmosphère et, surtout, plus de recherches pour en évaluer l’ampleur pour l’ensemble des régions du pergélisol.