La résilience scolaire des jeunes Québécois d’origine africaine et caribéenne

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Bien que les jeunes Québécois d’origine africaine et caribéenne soient plus à risque d’échec scolaire, ils sont nombreux à accéder au cégep et à l’université.

Environ 40 % des jeunes Québécois dont les parents sont d’origine africaine ou caribéenne vont au cégep et 36 % d’entre eux fréquentent l’université, contre respectivement 62 % et 53 % des jeunes non racisés.

C’est ce qu’indiquent les résultats d’une étude menée par Pierre Canisius Kamanzi, professeur au Département d'administration et fondements de l'éducation de l’Université de Montréal, à partir d’un échantillon composé de 574 élèves dont les parents ont émigré des Caraïbes ou de l’Afrique subsaharienne et de 7841 autres dont les parents sont de souche euro-canadienne. L’étude s’est étendue sur une période de 10 ans, depuis l’entrée des jeunes au secondaire en 2002-2003 jusqu’en 2012-2013.

Nous nous sommes entretenus avec lui.

Comment expliquez-vous que les jeunes Québécois d’origine africaine et caribéenne aillent en moins grand nombre au cégep et à l’université?

Le parcours de ces jeunes est semé d’obstacles qui s’enchaînent et de désavantages cumulatifs. 

Une forte majorité d’entre eux viennent de familles vivant dans des conditions précaires. Les élèves sont alors confrontés à un manque de ressources essentielles pour réussir à l'école, d’où découle un manque de motivation et d'aspiration scolaire. Ils sont également plus à risque d’éprouver des difficultés d'adaptation et d'apprentissage qui les prédisposent aux faibles résultats scolaires, au redoublement, au retard scolaire et au décrochage. En raison de résultats scolaires faibles, ils ont moins de chances d'accéder à une école offrant des programmes enrichis, où les candidats sont sélectionnés. Et leurs chances sont aussi moindres de fréquenter une école privée, qui exige en outre des droits de scolarité.

À cela, il faut bien souvent ajouter la discrimination qu’ils vivent à l'école: des gestes, des mots, des attitudes de la part du personnel tendant à inférioriser les élèves noirs. Il peut s’agir de commentaires déplacés sur la couleur des cheveux, de la peau, des gencives et qui s’accumulent. Avec ces microagressions répétées, les élèves se sentent marginalisés et en position d’infériorité.

Les difficultés financières que vivent les parents jouent également pour beaucoup. Quand le jeune termine ses études secondaires, si les parents ne sont pas à même de payer les frais de scolarité ou le logement, il sera contraint de quitter l'école pour aller travailler, de combiner études et travail ou de se tourner vers une formation professionnelle qui mène à un métier plus rapidement.

Cette situation est plus fréquente chez les élèves de familles noires, bien qu’elle soit également vraie pour d'autres familles défavorisées d’autres origines ethniques.

Toutefois, une bonne partie des jeunes d’origine africaine et caribéenne accèdent au cégep et à l’université. Comment l’expliquez-vous?

Tout d’abord, ce n’est pas la totalité de ces enfants qui vit dans des conditions précaires. Il existe quand même quelques exceptions: une petite proportion d’entre eux viennent de familles qui s’en sortent sur le plan socioéconomique et ils peuvent alors fréquenter une école privée ou être admis dans un programme enrichi au public. Or, plus de 80 % des élèves qui ont fréquenté une école privée ou qui ont suivi un programme enrichi au public accèdent au cégep, contre 40-50 % de leurs pairs des écoles publiques sans programmes enrichis.

Ensuite, une grande partie des élèves qui n’ont pas été à l’école privée ou dans un programme enrichi acquièrent une certaine résilience et vont au cégep et à l’université. Ils consacrent davantage de temps et d’énergie à leurs études et contournent les nombreux obstacles qui entravent leur parcours scolaire. Souvent leurs parents ont des aspirations scolaires élevées à leur endroit et mobilisent des ressources supplémentaires. Ils font beaucoup de sacrifices et leur inculquent que leur réussite scolaire et professionnelle leur appartient.

Quelles mesures pourraient être mises en place pour un plus grand accès aux études postsecondaires?

Tout d’abord, il faudrait mettre fin à la discrimination contre les personnes racisées sur le plan de l’emploi. Cette discrimination est à l’origine non seulement de la pauvreté, mais également des problèmes de socialisation. L’enfant perçoit toujours ses parents, et plus largement les adultes dans sa communauté, comme un modèle. S’ils ne possèdent pas d'emploi correspondant aux diplômes qu’ils ont obtenus, l’enfant aura du mal à comprendre pourquoi il devrait s'engager dans ses études et persévérer pour réussir.

Ensuite, il faudrait faire disparaître les préjugés qui favorisent la discrimination, que ce soit dans l'emploi ou à l'école. Il y a encore aujourd’hui des gens qui véhiculent, de façon subtile, l’idée que les Noirs sont moins intelligents que les autres. Il faudrait valoriser les talents de tous.

Enfin, la présence de personnes noires constitue une source d'inspiration pour les jeunes d’origine africaine et caribéenne. Une des stratégies serait d'attirer et de retenir dans différents corps d’emploi des personnes noires. Il serait aussi particulièrement judicieux d’intégrer parmi les enseignants des personnes issues de la diversité. Cela augmenterait l’estime de soi et la motivation des élèves. L’école et la société fonctionnent comme des miroirs. À l’école, nous nous identifions à la personne qui nous transmet le savoir. Cette personne ne transmet pas à l'élève seulement ce qu’elle a, mais également ce qu’elle est. Les enseignants jouent le rôle de parents et, dans une certaine mesure, sont perçus comme tels par les élèves.

Au final, en favorisant la diversité, c’est tout le monde qui y gagne! Nous savons bien que les laissés-pour-compte ne peuvent contribuer à la société et que c’est la société qui en paie le prix, directement ou indirectement.