Un nouvel état quantique de la matière est découvert dans un matériau magnétique créé à l’UdeM

Le matériau mis au point à l'UdeM permet de démontrer qu’il présente un nouvel état de la matière, et cette découverte pourrait ouvrir la porte à de nouvelles approches pour concevoir des ordinateurs quantiques.

Le matériau mis au point à l'UdeM permet de démontrer qu’il présente un nouvel état de la matière, et cette découverte pourrait ouvrir la porte à de nouvelles approches pour concevoir des ordinateurs quantiques.

Crédit : Getty

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Un nouvel état quantique de la matière a été observé dans un matériau magnétique mis au point par le professeur Andrea Bianchi, du Département de physique de l’Université de Montréal.

Ce n’est pas tous les jours qu’on découvre un nouvel état de la matière en physique quantique – un domaine scientifique qui cherche à décrire le comportement des atomes et des particules pour élucider leurs propriétés.

C’est pourtant ce qu’a fait une équipe internationale de chercheurs dont font partie Andrea Bianchi, professeur au Département de physique de l’Université de Montréal, et deux de ses étudiants, Avner Fitterman et Jérémi Dudemaine.

Dans un article qui vient de paraître dans la revue Physical Review X, les chercheurs font la démonstration d’un «état fondamental du liquide de spin quantique» survenu dans un aimant créé dans le laboratoire d’Andrea Bianchi – le Ce2Zr2O7, un composé de cérium, de zirconium et d’oxygène.

Comme un liquide… dans un solide d’une extrême froideur!

Andrea Bianchi

Andrea Bianchi

En physique quantique, le spin est l’une des propriétés internes des électrons qui se rapporte à une rotation – ou spin. C’est cette rotation qui donne à la matière ses propriétés magnétiques dans un aimant.

On parle de «liquides» de spins parce que les spins de matériaux spécifiques ont une attitude semblable à celle des molécules dans un liquide: ils sont désordonnés.

En général, plus on augmente la température d’une matière, plus celle-ci se désorganise, comme c’est le cas lorsque l’eau devient de la vapeur. Or, la principale caractéristique des liquides de spins est de rester désordonnés même lorsque la matière est refroidie à des températures extrêmement basses, soit près du zéro absolu (-273 °C).

En somme, le liquide de spin quantique fait référence à un désordre de la direction des spins qui change constamment dans un aimant refroidi à l’extrême, plutôt que de se stabiliser en un état solide – comme c’est le cas dans un ferroaimant, où tous les spins s’alignent dans la même direction.

L’art de «frustrer» des électrons

Avner Fitterman

Avner Fitterman

Imaginons qu’un électron agit telle une minuscule boussole qui pointe vers le haut ou vers le bas. Dans les aimants classiques, les spins des électrons sont tous orientés dans la même direction – vers le haut ou vers le bas –, ce qui correspond à une phase ferromagnétique. C’est cette phase qui, à titre d’illustration, permet à un aimant de faire tenir une photo sur le réfrigérateur à la maison.

Or, dans les liquides de spins quantiques, les électrons sont situés sur une maille triangulaire et forment un ménage à trois caractérisé par des turbulences intenses qui interfèrent avec l’ordre magnétique. Il s’agit alors d’une fonction d’onde intriquée sans ordre magnétique.

«En introduisant un troisième électron, les spins des électrons ne parviennent pas à s’aligner, puisque ses deux voisins doivent avoir une orientation toujours opposée, ce qui crée une “frustration magnétique”, explique Andrea Bianchi. Cette frustration magnétique entraîne des excitations qui maintiennent le désordre des spins, permettant ainsi la conservation de cet état liquide, même à très basse température.»

Comment introduire un troisième électron qui cause cette frustration?

Créer un triangle non amoureux!

Jérémi Dudemaine

Jérémi Dudemaine

C’est ici qu’entre en jeu l’aimant frustré Ce2Zr2O7 conçu dans le laboratoire d’Andrea Bianchi. Parmi les nombreuses expertises qu’il possède dans la caractérisation des matériaux de pointe comme les supraconducteurs, le professeur est passé maître dans l’art de «frustrer les aimants»!

Il a ainsi jeté son dévolu sur cet aimant à base de cérium. «Ce matériau existait déjà, mais nous sommes parvenus à concevoir une formule d’une pureté jamais égalée, à partir d’échantillons fondus dans un four optique qui permet de créer un arrangement triangulaire quasi parfait des atomes et d’en vérifier l’état quantique par la suite», raconte celui qui est cochercheur au Regroupement québécois sur les matériaux de pointe.

C’est à travers cet arrangement triangulaire qu’il est possible d’obtenir une frustration magnétique, comme dans l’aimant frustré qu’est le Ce2Zr2O7.

Puis, en collaboration avec des chercheurs des universités McMaster et d’État du Colorado, ainsi que du Laboratoire national de Los Alamos et de l’Institut Max Planck de physique des systèmes complexes à Dresde, en Allemagne, les chercheurs ont effectué des mesures de diffusion magnétique.

«Nos mesures montraient une fonction chevauchée des particules, donc une absence de pics de Bragg, ce qui représente une signature claire de l’absence d’un ordre magnétique classique, poursuit M. Bianchi. Nous avons aussi observé une distribution des spins dont l’orientation fluctue constamment, ce qui est caractéristique d’un liquide de spin ou de frustration magnétique. Cette observation indique que le matériau que nous avons créé se comporte comme un véritable liquide de spin à basse température.»

Un rêve devenu réalité

Grâce aux mesures de simulation numériques qui ont appuyé cette observation, l’équipe de chercheurs a pu conclure qu’elle avait mis au jour un nouvel état quantique.

«Découvrir un nouvel état quantique de la matière est le rêve de tous les physiciens et physiciennes, conclut Andrea Bianchi. Notre matériau est révolutionnaire, car nous étions les premiers à démontrer qu’il présente bel et bien un liquide de spin et cette découverte pourrait ouvrir la porte à de nouvelles approches pour concevoir des ordinateurs quantiques.»

Les aimants frustrés, en bref

Un échantillon de l’aimant frustré à base de cérium, le Ce2Zr2O7, conçu dans le laboratoire d’Andrea Bianchi.

Le magnétisme est un phénomène collectif où les spins dans un matériau prennent tous la même orientation. L’exemple le plus connu est le ferroaimant, dans lequel tous les spins ont la même direction et le matériau présente une aimantation. À l’inverse, on aligne les spins de façon que la direction avec chaque voisin soit changée: tous les spins ont encore une direction bien définie, mais l’aimantation est nulle. Or, en créant un réseau triangulaire de particules, on tire avantage du fait que les trois voisins veulent orienter leur spin dans une direction opposée: comme ils ne peuvent plus décider de leur orientation selon un arrangement commun, on crée alors un aimant frustré.

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