L’IA au service de la santé

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L’intelligence artificielle s’empare de toutes les sphères de nos vies. Afin que ce soit pour le meilleur et non le pire, du moins en santé, cette technologie se doit d’être incarnée et enseignée.

Guillaume Dumas

Guillaume Dumas, professeur agrégé au Département de psychiatrie et d’addictologie de l’Université de Montréal et membre de SENSUM

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Les algorithmes sont à la médecine d’aujourd’hui ce que les statistiques étaient à la médecine d’hier. Autrement dit, la pratique dans le milieu de la santé vit un tournant historique!

«Dans les années 1950, on réfléchissait à l’idée d’enseigner les statistiques aux médecins. Maintenant, on se dit qu’il faudrait les former à l’intelligence artificielle [IA] et les amener à comprendre le fonctionnement des algorithmes pour leur permettre d’en faire un usage raisonné et critique», affirme Guillaume Dumas, professeur agrégé au Département de psychiatrie et d’addictologie de l’Université de Montréal et membre de SENSUM.

Parce que «l’IA et ses algorithmes font partie de la boîte à outils de la relève», l’expert en psychiatrie informatique et santé mentale, aussi chercheur principal au laboratoire Psychiatrie de précision et physiologie sociale du Centre de recherche du CHU Sainte-Justine et titulaire de la Chaire IVADO en intelligence artificielle et en santé mentale, fera deux présentations dans le cadre du 90e Congrès de l’Acfas, l’une sur l’apport de l’IA en santé mentale, l’autre sur la formation des médecins en santé numérique. Nous en avons discuté avec lui.

En quoi l’intelligence artificielle vient-elle révolutionner le domaine de la santé mentale?

Grâce à l’apprentissage automatique, on parvient maintenant à créer des modèles à partir de vastes quantités de données issues à la fois du milieu hospitalier [imagerie cérébrale, génomique] et des applications Web. Ce qui nous mène à la psychiatrie informatique. Ce nouveau champ de la psychiatrie utilise les outils numériques et les données disponibles pour mieux comprendre la santé mentale et agir en première ligne sur la prévention, la détection et le traitement.

Concrètement, comment parvenez-vous à faire «parler» les données?

Les algorithmes nous permettent de formuler des hypothèses à partir de mégadonnées. Ainsi, on passe de données indifférenciées à de l’information, puis de l’information à des connaissances. Mais on peut aussi utiliser la modélisation mathématique pour opérationnaliser les hypothèses afin de voir si elles sont conformes à la réalité. Ces deux pôles de la psychiatrie informatique, soit les mégadonnées et la modélisation, nous mènent à un troisième pôle, la psychiatrie numérique. Cette dernière est essentielle parce qu’elle est en lien direct avec les cliniciens et les patients.

Pourquoi est-ce si important pour la psychiatrie numérique de trouver des applications sur le terrain?

La psychiatrie informatique a souvent été critiquée du fait qu’elle était très abstraite et déconnectée de la réalité. La psychiatrie numérique ou psychiatrie informatique appliquée [télémédecine, applications, groupes de discussion, consultations à distance] conduit cette discipline en première ligne; elle permet aux cliniciens d’avoir une vision systémique des problèmes de santé mentale et d’être plus efficaces dans leur prise de décision clinique.

Encore faut-il que le personnel de la santé sache utiliser ces outils!

La Faculté de médecine de l’Université est à revoir ses programmes de formation pour y intégrer l’enseignement de l’IA et préparer les prochaines générations de médecins à la santé numérique. Avec Michaël Chassé [professeur agrégé au Département de médecine de l’UdeM et directeur scientifique du Centre d’intégration et d’analyse de données médicales du CHUM], nous avons créé la première formation en médecine computationnelle offerte en français et élaborons maintenant tout un cursus interdisciplinaire dans le cadre de la santé.

Le manque de connaissances en intelligence artificielle est un énorme enjeu d’apprentissage pour la relève, mais aussi d’attractivité et de rétention. Il faut convaincre les cliniciens de l’utilité de l’IA dans leur pratique [triage, diagnostic, pronostic, traitement] et faire comprendre aux ingénieurs que la médecine ne se résume pas à des tableaux de données abstraites: derrière les prédictions algorithmiques, il y a des êtres humains! Il y a aussi toute la question de l’acceptabilité clinique: si le corps médical n’a pas confiance en ces outils ou n’est pas capable de les utiliser, ils ne serviront pas à grand-chose auprès des patients. Le rôle de l’Université est de transmettre une vision réaliste, critique, éthique et sociétale de l’IA.

À la vitesse où se développe l’intelligence artificielle, ce qui est enseigné aujourd’hui ne sera pas forcément d’actualité demain…

Sur le plan pédagogique, cette accélération des connaissances pose d’énormes défis. On pourrait faire appel au design fiction [une approche prospective qui vise à faire émerger des idées en imaginant une situation future] pour inciter les étudiantes et étudiants à se poser des questions sur ce qui va potentiellement se faire dans le futur. Quoi qu’il en soit, les avancées scientifiques en IA vont changer considérablement la pratique médicale. Et une chose est sûre: celles et ceux qui commencent leurs études de médecine aujourd’hui seront confrontés à une réalité très différente à l’obtention de leur diplôme!

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