Maryvonne Kendergi dans l'œil (et l'oreille!) des archivistes
- UdeMNouvelles
Le 9 janvier 2025
- Éléonore Aubut-Robitaille
La pianiste, musicologue, professeure et animatrice Maryvonne Kendergi (1915-2011) a légué à l’UdeM un remarquable fonds d’archives. Un projet archivistique riche en surprises et en émotions.
Plus de 12 mètres linéaires de documents textuels, 3000 photographies, 2000 enregistrements sonores, près d’une centaine d’enregistrements vidéos et filmiques, quelques objets précieusement conservés par leur propriétaire: voilà la matière que les archivistes de la Division des archives et de la gestion de l'information de l’Université de Montréal ont préservée, classée, mise en boîte et décrite au cours d’un projet de traitement qui s’est échelonné sur cinq mois.
Réalisé grâce au soutien financier de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et à un don philanthropique de Gisèle Barret, ce travail favorisera l’exploitation et la valorisation d’archives témoignant d’un parcours personnel et professionnel unique, façonné par la musique.
Maryvonne Kendergi: une vie au service de la musique
Maryvonne Kendergi est née le 15 août 1915 à Aïntab (aujourd'hui Gaziantep, en Turquie), dans une famille arménienne contrainte de s’exiler à Alep, puis à Paris. Passionnée par la musique depuis son tout jeune âge, elle étudie à l’École normale de musique de Paris (de 1929 à 1933, puis de 1937 à 1945) auprès de professeurs réputés tels Alfred Cortot et Nadia Boulanger. Elle mène, presque simultanément, une carrière de pianiste, d’enseignante de piano et d’organisatrice d’activités culturelles jusqu’en 1952, année où elle quitte la Ville lumière pour le Canada.
C’est à Gravelbourg (Saskatchewan), sur les ondes de la station locale CFRG, qu’elle fait ses premières armes comme animatrice radio. De passage à Montréal en 1956, elle rencontre Marc Thibault, le directeur du réseau français de Radio-Canada. Il lui offre d’animer l’émission Festival du dimanche, qui deviendra Festivals européens. Ce premier mandat marque le début d’une longue collaboration entre Radio-Canada et Maryvonne Kendergi. Au cours d’émissions de radio et de télévision telles que Les jeudis de Maryvonne, Le billet de Maryvonne, L’artiste et son temps et La revue des arts et lettres, elle offrira une tribune à la musique contemporaine et s’entretiendra avec certains des plus grands noms des scènes musicales québécoise, canadienne et internationale.
En 1966, Maryvonne Kendergi se joint au corps professoral de la Faculté de musique de l'Université de Montréal. Elle y donne des cours sur la musique canadienne, les premiers à être offerts dans un établissement universitaire canadien, mais fait également une place de choix à la musique contemporaine. Elle met à profit son impressionnant réseau de connaissances et d’amis pour instaurer, dès 1970, les Musialogues, une série de rencontres entre la professeure, un compositeur et le public. Les musiciens contemporains John Cage, Serge Garant, Pierre Schaeffer, Karlheinz Stockhausen, Gilles Tremblay et Iannis Xenakis ne sont que quelques-uns des nombreux invités qu’elle recevra.
Engagée sur plusieurs fronts au nom de la musique contemporaine, Maryvonne Kendergi est membre fondatrice de la Société de musique contemporaine du Québec, dont elle assume la présidence de 1973 à 1982, et présidente du Conseil canadien de la musique (précurseur du Conseil des arts du Canada) de 1977 à 1980. Quand elle quitte l’UdeM, en 1981, elle crée le Fonds de recherche Maryvonne-Kendergi, grâce auquel des bourses sont attribuées annuellement à des étudiants et étudiantes en musicologie désirant explorer la musique québécoise.
Que contiennent les archives de Maryvonne Kendergi?
Parcourir le fonds d’archives de Maryvonne Kendergi, c’est plonger dans une histoire sociale, culturelle, artistique, intime qui s’étend sur près d’un siècle. Une abondante correspondance (plusieurs centaines de lettres et cartes!) témoigne de sa jeunesse à Paris et de ses relations avec sa famille, des amitiés qu’elle a su entretenir en dépit du temps et de la distance et des multiples rencontres ayant ponctué ses activités de pianiste, de musicologue et d’animatrice. Ces échanges épistolaires la lient notamment au peintre Alfred Manessier et à sa famille, aux musiciens Alfred Cortot, Luigi Dallapiccola, Karlheinz Stockhausen et Iannis Xenakis.
Les milliers de photographies du fonds la montrent tantôt entourée d’amis à Alep, tantôt sur les bancs d’école à Paris, tantôt au piano, tantôt au micro d’une émission de radio ou interviewant des compositeurs de renom tels Pierre Boulez, John Cage, André Jolivet, Olivier Messiaen ou Pierre Schaeffer. Son œuvre de musicologue et de pédagogue peut être retracée dans les centaines de dossiers qu’elle a constitués sur des musiciens du 20e siècle et sur des musiques et évènements musicaux de divers pays, dans les dossiers des cours qu’elle a donnés à l’Université de Montréal ou encore dans les documents relatant l’organisation des Musialogues.
Arménienne d’origine et de cœur, Maryvonne Kendergi a en outre rassemblé de nombreux documents témoignant de son engagement au sein d’associations d’Arméniens à Montréal. À ce corpus archivistique s’ajoutent quelques objets aussi inusités que touchants, par exemple des insignes métalliques (ou badges) du gouvernement provisoire de la République française, un paquet d'allumettes annoté et signé par John Cage ou encore un éventail utilisé par Francis Poulenc.
Un patrimoine à préserver... avant qu'il soit trop tard
Témoins parfois uniques du travail d’animatrice, d’intervieweuse et de professeure de Maryvonne Kendergi, les quelques milliers de documents audiovisuels du fonds se présentent sur une variété de supports dont l’état de conservation et l’espérance de vie sont variables: bande magnétique, cassette audio, cédérom, vidéocassette et film 16 mm, notamment.
Si la précarité de ce patrimoine tient à la détérioration des documents eux-mêmes, elle s’explique également par l’obsolescence des appareils et des technologies permettant d’en faire la lecture, sans parler de la perte d’un savoir-faire essentiel à l’utilisation et à l’entretien de cet équipement. Il n’est pas exagéré d’affirmer qu’il y a urgence d’agir pour certains documents, qui ne seront tout simplement plus lisibles dans quelques années à peine! La préservation des archives audiovisuelles, par conséquent, est une priorité pour la Division des archives et de la gestion de l'information. Un plan de préservation et de numérisation des archives audiovisuelles est d’ailleurs en cours d’élaboration.
En 2025, la Faculté de musique de l'Université de Montréal aura 75 ans. Si les grandes commémorations comme celles entourant la fondation de cette faculté offrent des occasions rêvées de mettre en valeur le patrimoine archivistique de l’UdeM, ce patrimoine mérite une attention et un soin bien au-delà de ces célébrations ponctuelles. Préserver cette mémoire universitaire est une responsabilité institutionnelle et collective!
Pour consulter les descriptions du fonds d’archives de Maryvonne Kendergi, c'est par ici.
(Cet article a été rédigé en collaboration avec l'archiviste Kate Nugent.)