«Je suis chercheur. C’est mon travail»

Aaron Courville

Aaron Courville

Crédit : Mila

En 5 secondes

Alors qu’il succède à Yoshua Bengio au poste de directeur scientifique d’IVADO, Aaron Courville réfléchit à ce dont l’intelligence artificielle a besoin: plus d’optimisme.

Aaron Courville ne craint pas l’intelligence artificielle (IA). Il l’embrasse.

«Il y a toujours eu des préoccupations éthiques au sujet de ces types de systèmes automatisés et, si nous ne faisions rien à cet égard, ce serait inquiétant, mais dans l’ensemble, je suis très optimiste quant à ce que l’IA peut offrir», déclare le professeur d’informatique de 50 ans et nouveau directeur scientifique d’IVADO, le consortium de recherche sur l’IA affilié en partie à l’Université de Montréal.

«L’IA peut faire partie de la solution à de nombreux problèmes», mentionne Aaron Courville au cours d’un entretien portant sur l’ensemble de sa carrière qui s’est déroulé dans les locaux de Mila (Institut québécois d’intelligence artificielle), qu’il a cofondé. «Les mêmes défis auxquels nous sommes confrontés avec les systèmes multiagents [des groupes d’algorithmes qui combinent leurs expertises pour résoudre des problèmes] peuvent être transformés pour nous aider à travailler ensemble afin d’atténuer les changements climatiques par exemple», dit-il.

Prenons le domaine des politiques publiques. «Imaginons que nous puissions exploiter l’IA pour concevoir des politiques de manière à les rendre plus efficaces. Beaucoup de ces mécanismes présentent de nombreux avantages, dont on ne parle pas assez. Nous devrions vraiment clarifier cela pour tout le monde et pas seulement pour nous-mêmes», ajoute-t-il.

Sur ce point, Aaron Courville se distingue de son ami et collègue Yoshua Bengio, professeur d’informatique à l’UdeM, qu’il remplace actuellement à IVADO. C’est Yoshua Bengio qui, il y a deux décennies, l’a recruté à l’Université en tant que jeune chercheur, a rédigé avec lui le manuel de référence L’apprentissage profond et est aujourd’hui une voix mondiale de premier plan qui met en garde contre les dangers d’une IA débridée.

«Yoshua est très préoccupé par le risque existentiel de l’IA, comme la fin de l’humanité, souligne Aaron Courville. C’est un scénario pessimiste où règne une sorte d’IA toute puissante, mais ce n’est pas l’avenir que j’entrevois. L’avenir que j’envisage comportera de nombreux systèmes d’IA, chacun avec son rôle et ses responsabilités, et ils contrôleront le pouvoir et l’influence des uns et des autres. Aucun système d’IA monolithique n’obtiendra les clés du royaume. Pour l’essentiel, c’est ainsi que nous avons organisé nos sociétés contre la tyrannie et l’injustice et je ne vois pas pourquoi nous ne poursuivrions pas cette stratégie à l’ère de l’IA.»

L’optimisme d’Aaron Courville est naturel: en tant que scientifique, il consacre sa vie, comme il le dit lui-même, à comprendre comment fonctionnent les choses. Il a une révélation à la fin des années 1990 lorsque, après avoir terminé ses études de premier cycle en sciences appliquées à l’Université de Toronto, il passe l’un de ses étés en tant qu’étudiant de maîtrise en ingénierie biomédicale dans le laboratoire de Berj Bardakjian, professeur à cette université.

«Il y avait quelque chose dans ce laboratoire, à la jonction de la biologie et de l’ingénierie, qui a vraiment frappé mon imaginaire, se souvient-il. La biologie est une grande source d’inspiration pour une conception élégante, et cela m’a profondément influencé. C’est ce qui m’a amené à m’intéresser aux réseaux neuronaux, à prendre ce qui se passe dans la biologie du cerveau et à trouver des méthodes similaires pour apprendre aux ordinateurs à traiter des données.»

Il poursuit son objectif au sud de la frontière. En tant qu’étudiant de doctorat à l’Institut de robotique de l’Université Carnegie Mellon, à Pittsburgh, «j’ai fouillé dans les archives, lu des expériences vieilles de 100 ans sur l’apprentissage des animaux et découvert comment modéliser des exemples de conditionnement pavlovien à l’aide de méthodes bayésiennes d’apprentissage automatique. Ma thèse portait sur l’hypothèse que les animaux sont des apprenants bayésiens causaux: ce qu’ils pensent du monde est aussi complexe que les données auxquelles ils sont exposés», raconte-t-il.

Le monde dans lequel Aaron Courville grandit n’est pas sophistiqué, même s’il comporte des dualités. Ainsi, son nom de famille français est l’héritage d’un grand-père franco-ontarien. Fils d’un administrateur de SaskTel et d’une infirmière, il naît à Regina et y passe ses premières années aux côtés de sa grande sœur. À Saskatoon, il suit un programme d’immersion française à l’école. Lorsqu’il a 8 ans, sa famille déménage à Toronto puis, à 11 ans, à Cornwall, où son père change de profession et commence à exercer en tant qu’avocat.

«Enfant, j’ai toujours été intéressé par les sciences, se remémore-t-il. Je jouais beaucoup aux Lego, j’avais un ensemble pour fusée miniature. Je pensais que j’allais devenir inventeur. Je ne savais pas ce qu’était un chercheur, mais si je l’avais su, vous auriez pu l’ajouter à ma liste.»

À l’Université Carnegie Mellon, il a une deuxième révélation: il rencontre sa moitié intellectuelle et romantique. Joëlle Pineau prépare également un doctorat en informatique, est canadienne bilingue (sa langue maternelle est le français et sa ville natale Ottawa) et prévoit de trouver un emploi au Canada après l’obtention de son diplôme. Le couple habite ensemble, puis a un premier enfant (le premier de quatre) et, en 2004, s’installe à Montréal.

Joëlle Pineau accepte un poste de professeure à l’Université McGill et dirige ensuite la recherche sur l’intelligence artificielle chez Meta, la société mère de Facebook (qu’elle quittera plus tard ce mois-ci après huit ans). Aaron Courville termine sa thèse de doctorat dans des cafés et un bureau emprunté à l’Université McGill et se demande ce qu’il fera ensuite. «Je n’allais pas faire d’expériences sur des animaux pour le reste de ma vie. L’apprentissage automatique était ce qu’il y avait de mieux», indique-t-il.

  • Aaron Courville lors de la Marche pour le climat, le 27 septembre 2019 à Montréal, en compagnie de sa conjointe Joëlle Pineau.

    Aaron Courville lors de la Marche pour le climat, le 27 septembre 2019 à Montréal, en compagnie de sa conjointe, Joëlle Pineau

Il communique avec Yoshua Bengio, les deux hommes se rencontrent et bavardent, il donne une conférence aux classes de son mentor et il se joint à son équipe comme postdoctorant. Un jour, en passant dans son bureau, Yoshua Bengio lui apprend qu’il vient de parler avec Geoffrey Hinton (de l’Université de Toronto) et Yann LeCun (de l’Université de New York) et qu’ils vont travailler sur l’apprentissage profond. «C’est incroyable que j’aie été là à ce moment-là», lance Aaron Courville.

En 2012, il entre au Département d’informatique et de recherche opérationnelle de l’UdeM à titre de professeur adjoint. Quatre ans plus tard, il publie le manuel sur l’IA avec Yoshua Bengio et Ian Goodfellow, de Google, et en 2023 il devient professeur titulaire. À l’instar de Yoshua Bengio, Aaron Courville refuse des postes chez des géants de la technologie qui profitent de ses recherches, bien qu’il continue de recevoir des subventions de Google, Microsoft, Samsung, Sony et Hitachi entre autres.

«Je n’ai jamais ressenti le besoin d’être autre chose que ce que je suis, et cela inclut le fait de travailler pour des entreprises technologiques, souligne-t-il. Bien sûr, je collabore constamment avec elles – Meta, Microsoft, Google, elles sont toutes ici, à Montréal –, mais elles ne sont pas mes employeurs, c’est l’UdeM qui l’est.»

«Je suis toujours dans les tranchées, illustre-t-il. Je suis chercheur. J’aime mon travail, j’aime Mila et j’aime travailler avec les étudiants et les étudiantes.» Il en a aujourd’hui 20, principalement au doctorat, mais aussi à la maîtrise, à qui il enseigne en anglais et en français. Parmi ses anciens étudiants, on compte Max Schwarzer, d’Open AI, Sara Hooker et Florian Strub, de Cohere, et David Scott Krueger, professeur adjoint à l’UdeM.

Aujourd’hui, l’occasion se présente d’en faire davantage avec IVADO. Grâce à ses recherches sur les modèles génératifs, les grands modèles de langage et l’apprentissage par renforcement, Aaron Courville a conseillé le consortium en tant que membre de son comité de direction pendant plusieurs années avant d’être sollicité, cette année, pour remplacer Yoshua Bengio à la direction scientifique. Yoshua Bengio se retire afin de poursuivre ses travaux sur la sécurité de l’IA, mettant en garde contre les risques qu’elle fait peser sur l’humanité.

À IVADO, Aaron Courville réunira des spécialistes autour de 10 «regroupements de recherche» ou «orientations», allant des neurosciences à l’environnement en passant par les chaînes d’approvisionnement. «Les possibilités d’enrichissement mutuel sont nombreuses, toujours avec cette idée: comment pouvons-nous intégrer l’IA dans un plus grand nombre de domaines à travers le milieu universitaire? Il y a tant de choses que nous pouvons faire ensemble au fur et à mesure que notre discipline se développe», mentionne-t-il.

Quel est l’avenir immédiat d’Aaron Courville?

L’universitaire longiligne de 1,80 m s’appuie sur sa chaise, remonte ses lunettes Ray-Ban sur l’arête de son nez, secoue ses longs cheveux poivre et sel et se met à rire. «Soit je serai en train de faire ce que je fais maintenant, soit je serai à la retraite en train de pêcher quelque part», s’illumine-t-il. Il brandit son téléphone pour montrer la photo d’un gros bar d’Amérique que sa famille a attrapé au cours d’une récente expédition dans la région de Miramichi, au Nouveau-Brunswick.

En ce qui concerne l’avenir de l’IA, une chose est sûre: Aaron Courville garde l’esprit ouvert.

«Il ne fait aucun doute que nous vivons une période de changement. Il y a encore beaucoup de choses à négocier. Mais le domaine ne va pas cesser de progresser et je pense que nous, en tant que chercheurs et universitaires, devons participer à l’élaboration de son avenir. C’est cela ou être laissés-pour-compte», conclut-il.