La vaccination pour prévenir la perte auditive chez les jeunes

L'Organisation mondiale de la santé estime que près de 60 % des cas de surdité chez l'enfant pourraient être évités grâce à des mesures de santé publique.

L'Organisation mondiale de la santé estime que près de 60 % des cas de surdité chez l'enfant pourraient être évités grâce à des mesures de santé publique.

Crédit : Getty

En 5 secondes

La vaccination pourrait prévenir des pertes auditives chez les jeunes, mais son incidence reste peu étudiée, surtout dans les pays à faible ou moyen revenu.

La perte auditive, qu'elle soit légère, modérée, grave ou profonde, touche près de 1,5 milliard de personnes dans le monde. Si elle est souvent associée au vieillissement, il faut savoir que des infections contractées pendant l'enfance et l'adolescence sont une cause majeure et souvent évitable de surdité. C'est particulièrement vrai dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, où l'accès aux soins auditifs est souvent limité. 

L'Organisation mondiale de la santé estime que près de 60 % des cas de surdité chez l'enfant pourraient être évités grâce à des mesures de santé publique, notamment la vaccination contre des maladies comme la rubéole ou certaines formes de méningite. 

C'est dans ce contexte que Mira Johri, professeure au Département de gestion, d’évaluation et de politique de santé de l’École de santé publique de l’Université de Montréal (ESPUM), Shoghig Téhinian, étudiante au doctorat professionnel en santé publique à l’ESPUM, Myriam Cielo Pérez Osorio, du pôle de recherche de la direction Recherche, enseignement-perfectionnement et innovation du Centre intégré de santé et de services sociaux de la Montérégie-Ouest, Enis Barış, professeur à l’Université de Washington, et Brian Wahl, professeur à la Yale School of Public Health, ont réalisé une revue approfondie de la littérature scientifique pour comprendre le rôle que pourrait jouer la vaccination dans la prévention de la surdité chez les enfants et les adolescents.  

Plus de 20 pathogènes sous la loupe

La vaste revue de la littérature effectuée visait à cartographier l’ensemble des connaissances actuelles sur les liens entre la vaccination et la prévention de la perte auditive. «C’était extrêmement détaillé comme revue de la littérature parce que nous sommes allés chercher chaque pathogène un par un, ce qui existe pour chacun, les mécanismes d’action, les vaccins disponibles et ce qui est connu ou non de leur effet sur l’audition», explique Shoghig Téhinian. 

Au total, ce sont 26 agents infectieux susceptibles de provoquer une perte auditive qui ont été mis au jour. Parmi ces agents figurent des virus bien connus comme ceux de la rougeole et de la rubéole; cette dernière maladie est particulièrement redoutable lorsqu'elle est contractée pendant la grossesse, car elle peut entraîner une surdité congénitale due à des lésions du système auditif en développement. On trouve également le virus des oreillons, une infection qui peut aussi causer une surdité neurosensorielle en endommageant l'oreille interne ou le nerf auditif. Enfin, plusieurs bactéries responsables de diverses formes de méningite (Haemophilus influenzae, Streptococcus pneumoniae, Neisseria meningitidis) peuvent laisser des séquelles auditives. 

Des lacunes majeures dans la littérature empirique

L’un des constats qui ressort de la revue de la littérature, c’est le manque flagrant de données empiriques sur l’effet protecteur des vaccins vis-à-vis de la perte auditive. Parmi les milliers d'articles scientifiques sélectionnés, seules neuf études, réparties sur près de 40 ans, répondaient aux critères pour être incluses dans cette revue de la littérature. De plus, ces rares études ont été menées exclusivement dans des pays à revenu élevé (soit la Suède, la Finlande, les Pays-Bas, les États-Unis, l'Australie et le Japon). Elles se sont concentrées sur seulement trois agents infectieux: la rubéole, les oreillons et le pneumocoque. 

«Je pense que, si la vaccination sauve des vies, les décisions politiques ont été prises en suivant cette considération et c’est raisonnable, note Mira Johri. Mais il y a aussi des bienfaits importants en matière de prévention de la morbidité, comme la perte d’audition, qui pourraient être mieux pris en compte.» 

La structure des essais cliniques contribue en partie à cette invisibilisation: ils visent d’abord à démontrer l’efficacité du vaccin sur la maladie cible. Les effets secondaires évités – comme la surdité – sont rarement examinés de manière systématique. 

Y a-t-il des liens réels entre la vaccination et la prévention de la perte auditive?

Les résultats des neuf études faisant le lien entre la vaccination et la prévention de la perte auditive sont mitigés et difficiles à comparer. 

Les travaux sur la vaccination contre la rubéole et les oreillons indiquent un effet positif à l'échelle de la population pour réduire la surdité liée à ces maladies. Par exemple, des études en Australie ont montré une forte diminution des cas de surdité congénitale due à la rubéole après l'implantation des programmes de vaccination. En Suède, l'introduction du vaccin contre la rougeole, les oreillons et la rubéole a été associée à une réduction marquée des problèmes auditifs chez les enfants. Des études sur les oreillons au Japon et aux États-Unis ont également souligné l'importance de la vaccination pour prévenir la surdité provoquée par cette infection. 

En revanche, trois essais cliniques sur des vaccins contre le pneumocoque, qui visaient à prévenir les infections de l'oreille moyenne, telles les otites séreuses, n'ont pas révélé d'effet significatif sur ces otites. Les auteurs précisent cependant que les otites séreuses ne sont pas une mesure directe de la surdité permanente. 

Un autre défi pour l’équipe de recherche est que les méthodes utilisées pour mesurer la perte auditive variaient beaucoup entre les études de la revue, rendant les comparaisons compliquées. 

Conséquences pour la recherche et les politiques vaccinales

Selon l’équipe de recherche, une meilleure reconnaissance des avantages de la vaccination relatifs à l’audition pourrait contribuer à renforcer les programmes existants, en particulier dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, où les taux de vaccination restent insuffisants. «Si un vaccin contre la rougeole, par exemple, est déjà recommandé pour prévenir la mortalité, le fait qu’il prévienne aussi la perte auditive est un bienfait additionnel qui renforce la logique de couverture universelle», souligne Mira Johri. 

L’équipe recommande d’intégrer dans les évaluations des vaccins les effets de ceux-ci sur la perte auditive tant au stade de la mise au point que pour les produits déjà commercialisés. Pour les nouvelles formulations vaccinales, ce critère pourrait orienter les priorités de recherche. «Ces avantages indirects devraient faire l’objet de plus de travaux et être mieux communiqués. Cela pourrait aider à contrer l’hésitation vaccinale», estime Shoghig Téhinian.  

«L'École de santé publique de l’Université de Montréal est proche de l’ancien institut pour les personnes sourdes-muettes, fait remarquer Mira Johri. Il y a quelques décennies à peine, il y avait tant d’enfants affectés qu’on avait besoin d’un tel établissement. C’est la combinaison des antibiotiques et des vaccins qui fait qu’il y a moins de cas de surdité causée par les maladies infantiles ici. Cette réussite pourrait être étendue partout dans le monde.»

À propos de cette étude

L’article «Vaccination for prevention of hearing loss: a scoping review», par Mira Johri et ses collègues, a été publié dans la revue Communications Medicine.

Sur le même sujet

santé publique audiologie enfance